Le Martyr du Centurion Marcellus de Tingis (Tanger)

Ceci est la traduction française de l'extrait des actes des Martyres que Spadinos avait publié alors. Commentaires de Damianus.

A Tanger, en Maurétanie, se déroula la passion du centurion Marcellus. Il fut condamné par Agricolus, délégué du Préfet du prétoire sous le règne de Dioclétien (284-305)

L'acte d'accusation:

Le 5 des Calendes D'aout, sous le consulat de Faustus etde Gallus (28 juillet 298) Marcellus, centurion, ayant comparu devant le gouverneur Astasius Fortunatus, celui-ci lui demanda:

-Est-ce vrai que tu as jugé bon, contre la discipline, d'ôter le ceinturon et de jeter à terre l'épée et le cep de vigne?

Marcellus répondit:

-Oui, quand vous avez célébré la fête de votre empereur, je t'ai déjà déclaré à haute de voix que j'étais chrétien et que je ne pouvais servir comme officier. Je ne sers que Jesus Christ, le fils de Dieu tout puissant.

Fortunatus Répliqua:

-Tu as fait scandale, je ne puis étouffer l'affaire. Je suis obligé de te déférer à nos seigneurs Augustes et Césars (autrement dit devant un juge délégué du Préfet du Prétoire. Celui-ci étant la dernière instance. L'appel devant l'Empereur lui-même étant très rare)

Lettre:

"Manilius Fortnatus à son cher Agricolanus. Salut!

Comme nous célébrions le jour si bienheureux et si joyeux pour tout l'univers de la propre naissance de nos Augustes et Césars (Il ne s'agit pas du jour de naissance mais du "dies Imperi", le jour anniversaire de la proclamation des empereurs...) Je t'informe mon Seigneur Aurelius Agricolanus, que Marcellus, centurion ordinaire (autrement dit un des centurions dit Ordinarii, soit les centurions les plus élevés qui commandent les unités des premières lignes; les antesignani) pris de je ne sia quelle folie, s'est spontanément défait de son baudrier, et a cru bon de jeter devant le front des troupes de nos Seigneurs, l'épée et le cep de vigne qu'il portait. Je me suis vu dans la necessité de déférer l'affaire à ta juridiction et de t'envoyer l'inculpé".

Déroulement du procès:

Sous le consulat de Faustus et de Gallus, le 3 des calendes de novembre, à Tingis, Marcellus, centurion fut introduit devant le juge. Lecture fut donné des pièces par le greffier.

-"Le gouverneur Fortunatus a déféré à ta juridiction Marcellus ici présent. Voici la lettre écrite à son sujet et dont je vais donner lecture si tu l'ordonnes."

Agricolanus prononça: "Lisez!"

Après lecture, Agricolanus demanda à l'accusé: "As-tu dis ce qu'il y a de consigné das l'acte?"

-Je l'ai dis.
-Chacune de ces paroles?
-Oui!
-Tu servais comme centurion ordinaire?
-Oui.
-Qu'elle folie furieuse t'a poussé à répudier tes serments pour suivre ces abérrations?
-Il n'y a pa de folie à craindre dieu!
-Tu as jeté tes armes?
-Oui.
-Pourquoi?
-Il ne convenat pas à un chrétien de s'empétrer dans le servicedu siècle. Il sert le Christ Seigneur!

Agricolanus conclut:

-"Le cas de Marcellus est de ceux que sanctionne la discipline! Attendu que Marcllus qui servait en qualité de centurion ordinaire, a publiquement répudié en termes imfamants son serment militaire, et qu'en outre, comme il est rapporté par l'acte du gouverneur qu'il s'est répandu en paroles furieuses, il est décidé qu'il sera chatié par le glaive".

L'exécution:

Comme on le menait au supplice, Le même Marcellus dit:

-"Agricolus, Dieu te bénisse!"

C'était bien ainsi que Marcellus, le martyre glorieux devait quitter le monde.

Commentaires:

Les actes du Martyr Marcellus de Tanger font certainement partis du corpus de martyrologie le moins suspect aux yeux des Historiens. La fiabilité de cet épisode a été reconnu à la différence de bon nombre de témoignages que les martyrologistes chrétiens d'un IVe siècle triomphant n'ont cessé de multiplier. L'histoire de Marcellus, débarrassé des péripéties édifiantes et fantastiques qui abondent dans la vie des saints est donc un document considéré de première main, témoignant des événements que connaît l'Empire romain sous l'empereur Dioclétien, et confirmés par de quasi-contemporains des faits tels que Lactance "De la mort des persécuteurs" et Eusèbe, "Histoire Ecclésiastiques" et "Vie de Constantin".

Ces Actes sont en effet tirés des archives juridicaires romaines. Les lettres, le procès verbal, le déroulement de la procédure dans sa relation très factuelle nous permet d'avoir confiance dans les informations qu'ils nous retranscrivent. Dépouillé de la stylistique morale des apologètes ultérieurs, les détails des actes dans les expressions ou titulatures employées renforcent la crédibilité de ce martyr.

Le contexte historique.

La justification du pouvoir temporel passant par un renforcement de la ferveur traditionaliste, Dioclétien, sincère mais pragmatique, insiste dans la loi sur l'obligation de sacrifier aux dieux dans les actes de la vie quotidienne comme dans les grandes dates du calendrier. La victoire sur l'ennemi extérieur étant consommée, et celle-ci étant due aux dieux auxquels les empereurs sont attachés, il convient de les remercier afin que soit préservée la faveur restaurée, ainsi que la "Pax Deorum" de l'Empire pour que la paix sur terre ne soit plus troublée.

Cette rigueur que demande Dioclétien passe d'abord par l'armée et c'est donc de l'armée que viennent les premiers parjures et signes de désobéissance avoués par les soldats chrétiens dans les années 298-299, quatre ans avant la grande persécution de 303. Contrairement à ce qu'on s'imagine souvent, le nombre de chrétiens est important dans les armées quand bien même celle-ci resterait jusqu'à la fin de l'Empire un foyer conservateur du paganisme puis de l'hérésie arienne. Profitant de "la petite paix de l'Eglise" depuis Gallien, le christianisme à la fin du IIIe siècle s'est considérablement développé dans toutes les couches de la société romaine, même si la Foi chrétienne fut encore minoritaire. Déjà Tertullien dans le courant du IIIe siècle s'essayait à dénombrer le nombre de chrétiens dans les légions. L'ordre circula dans les troupes de de sacrifier aux dieux et au génie de l'empire. Les chrétiens dans un premier temps s'y refusèrent proposant de prier en retour pour la Salut des empereurs et pour celui de l'empire, mais cette initiative ne suffira pas. En second lieu, ils réaffirmèrent leur position en arguant qu'il était contraire à leur foi que de sacrifier, encore plus à un dieu autre que le leur; Christ étant unique. Eusèbe nous apprend que la hiérarchie militaire répondit en dépouillant les soldats de leurs rangs et en les chassant de l'armée. Plaçant les chrétiens aux pieds du mur, beaucoup préférèrent quitter les enseignes plutôt que d'abjurer.

Contre cette injustice, les manifestations de désapprobation des chrétiens se firent plus spectaculaires. Ceux-ci profitèrent des revues militaires à l'occasion des nominations, promotions et autre transferts où il était demandé aux soldats l'adoratio des figures impériales (imago) pour proclamer leur militantisme religieux. Si refuser de sacrifier exposait le soldat à la sanction, jeter ses insignes devant les troupes lors de fêtes militaires teintées de nationalisme et de ferveur religieuse contrevenait carrément à la discipline et à la Loi martiale. Ce qui passait pour de l'insubordination aggravée en arrive à de la désertion pure et simple, jugée comme telle par les instances lorsque le serment militaire, sacré par essence, était renié.

Eusèbe considère que Dioclétien commença par l'armée une persécution sous l'instigation feutrée de Galère qui l'envisageait comme une répétition générale avant une persécution de plus grande ampleur. Pour Lactance au contraire, cette persécution est le fruit de la colère de Dioclétien suite à un augure prit dans le grand Palais de Nicomédie et rendu stérile par les prières des Chrétiens rassemblée comme toute "la cour" du palais à cette occasion. Les colères de Dioclétien réputées terribles, il aurait voulu ainsi purger les chrétiens de son entourage personnel, de son service et de l'armée.

Les Historiens considèrent aujourd'hui qu'il ne s'agit pas là d'une persécution réelle et que l'objectif premier de Dioclétien ne visait pas uniquement les chrétiens. La Loi d'obligation au sacrifice concernait aussi bien les manichéens qu'il avait déjà chassé à plusieurs reprises et avec énergie, que les chrétiens. Le martyr de Maximilien de Theveste à la même époque montre que l'Etat sévissait tout autant contre les objecteurs de conscience. La Foi chrétienne se révélant être aussi un dérivatif au service.

Le cas du Centurion Marcellus.

La situation de Marcellus dans sa démonstration de Foi relève bien de la discipline militaire, ce qui est parfaitement stipulé dans les actes. En choisissant la fête des Terminalia pour jeter devant les enseignes et à la vue de tous, son cep de vigne, insigne de son grade (à la fin du IIIe siècle, l'insigne du centurion n'est plus le cep de vigne court et noueux, c'est une longue et fine canne qu'il arbore sur les mosaïques et les stèles funéraires...) et son ceinturon marque par excellence de son statut de militaire, c'est l'armée qu'il désavoue. En faisant ainsi, sa proclamation de Foi qui est aussi un acte politique, est considéré comme une désertion sanctionnée par la peine mort. Le geste de Marcellus a dû marquer les esprits, car celui-ci n'est pas un simple centurion (ce qui est déjà pas mal...) mais un membre des Ordinarii, soit un des centurions de première classe qui commandent les unités de la première ligne de l'ordre de bataille de l'armée romaine du Bas-Empire. Plus précisement si on en croit Végèce, un des dix centurions de la première cohorte de la légion. En risquant sa vie pour sa liberté de conscience et ses croyances, il témoigne au sens propre de ses convictions et de la force de sa Foi. En cela il se présente bel et bien en Martyr.

Marcellus rejoint un certain nombre de martrs militaires de cette même époque et connus jusqu'à nous, tels que les danubiens Valentinien, Pansecratius, Heschyas, Marcion et Nicantor, ainsi que le vétéran Julius et Tipsius, un soldat en Afrique qui ignora son rappel en service actif.

Références littéraires:

-Alain Chauvot "Antiquité Tardive" dans "Histoire Romaine" Col U. Histoire, Armand Colin. 2006.

-Stephen Williams, "Dioclétien; Le renouveau de Rome", Col. Memoria. In Folio. 2006.

-G. W. Bowersock, "Rome et le Martyr". Flammarion. 2002.