Je vais faire un petit compte-rendu de deux livres sur l'Empire romain, lus récemment. Ils m'ont tellement passionné que j'en passe une nuit blanche !
Le premier est de Zosso et Zingg : "Les empereurs romains", éditions Errance. Tous ces empereurs sont envisagés en détail, de -27 à 476 : famille, portrait, cursus, règne... Tout y est ! C'est un livre plus particulièrement destiné aux numismates, avec un spécimen de monnaie pour chaque empereur. Mais il intéressera tous les passionnés d'histoire romaine ! Signalons encore un glossaire, une bibliographie, des tableaux, quelques cartes et deux index.
Le deuxième porte sur la fin de l'Empire romain, plus précisément d'Occident : "Les derniers jours", par Michel De Jaeghere, éditions Les Belles Lettres. Nous avions déjà eu l'essai de Morin, aux éditions du Rocher, mais prenant beaucoup de libertés avec la rigueur historique. Rien de tel avec celui-ci ! Les sources sont citées à toutes les pages, la bibliographie est de premier ordre, sans compter un index et 22 cartes couleurs. Par ailleurs, ce livre se lit très agréablement, ne sacrifiant ni l'histoire évènementielle ni les réflexions de fond. L'auteur retient la date traditionnelle de 476 pour la fin de l'histoire romaine, tout en soulignant que la désagrégation du monde romain s'est faite sur plusieurs siècles, ce en quoi il a parfaitement raison ! De Jaeghere poursuit d'ailleurs jusqu'au VIIe siècle.
Comme vous savez, j'avais personnellement retenu 480 comme résultat de mon exercice de réflexion, une sorte de jeu érudit ! Mais après y avoir encore réfléchi, 476 me parait plus satisfaisant (comme De Jaeghere). J'ai donc revu ma récapitulation, en particulier les trois premières dates. Je les donne à nouveau pour ceux intéressés...
395 : partage administratif (non juridique) de l'Empire romain entre deux co-empereurs : Honorius pour l'Occident, Arcadius pour l'Orient – Cette date pourrait faire l'affaire, l'Empire romain n'ayant plus été réellement unifié après. Nous aurions ainsi une fragmentation étatique (modalité B-4). Mais d'un point de vue global, on peut aussi considérer que l'histoire romaine se continue mieux dans l'empire d'Occident. En effet, Rome a bien plus influencé l'Occident que l'Orient, comme déjà signalé : langue, droit, urbanisme… L'empire d'Orient aurait alors fait sécession (modalité A-2), ce qui n'implique pas la fin de l'Empire romain, seulement son amputation. De toute façon, personne ne pouvait interpréter le partage administratif de 395 comme une fragmentation ou une sécession, ce type de partage ayant déjà été fréquent.
476 : déposition de l'empereur d'Occident Romulus par le chef germanique Odoacre, proclamé auparavant roi par l'armée romaine (en fait germanique) – Un roi germanique prend alors le pouvoir dans ce qui reste de l'empire d'Occident (Italie). Nous pouvons y voir un coup d’État, provoquant un changement de régime politique. En soi, cela ne marque pas la fin de l’État romain. Je rappelle ici que Rome a déjà vécu sous la royauté, et que trois de ses rois ont été étrangers (étrusques).
Mais cela apparait aussi comme une sécession étatique (modalité A-2) de l'Italie par rapport à l'Empire romain, comme pour les autres royaumes germaniques d'Occident. Cette sécession sera toutefois dissimulée par Odoacre, puisqu'il reconnaitra la souveraineté de l'empereur d'Occident Nepos (en Dalmatie) puis d'Orient Zénon : une reconnaissance bien sûr fictive ! En tout cas, l'histoire romaine continuerait en dehors de l'Italie, ne finirait donc pas en 476.
D'un point de vue plus global, nous intéressant ici, il s'agit toutefois d'une fragmentation (modalité B-4). Elle marquerait alors bien la fin de l'histoire romaine, comme objet d'étude historique. En effet, le choix n'est pas évident pour un historien entre : plusieurs royaumes germano-romains en Occident, avec maintien de l'administration romaine, du droit romain et du latin ; des petites enclaves romaines, comme la Dalmatie et la Gaule du Nord ; un empire d'Orient gréco-romain, surtout redevable aux civilisations préexistant à l'Empire romain.
On peut sinon penser que la portée de 476 a été perçue par les contemporains bien informés, mais faiblement. La fragmentation est de toute façon peu ressentie, comme déjà dit. Les lois ne changent pas en effet dans l'immédiat, mais s'appliquent à des échelles plus réduites.
480 : réunification administrative (mais fictive) de l'Empire romain, avec un seul empereur siégeant à Constantinople – Après l'assassinat de l'empereur Nepos en Dalmatie, l'empereur d'Orient règne à présent aussi sur l'Occident. Mais c'est tout aussi symbolique qu'avec Nepos, comme on pouvait déjà le prévoir ! Bref, on ne voit pas très bien ce que cette date de 480 apporte par rapport à 476. Par ailleurs, il est certain que plus on s'éloigne dans le temps, plus la fin de l'histoire romaine devient évidente pour tous. En ce sens, 480 est une meilleure date que 476, mais 2014 le serait encore davantage !