Nous connaissons les armées romaines tardives pour leurs divisions en unités aux prérogatives différentes, fruits de décisions stratégiques empiriques ou concertées. Parmi ces divisions, acceptées sont les Limitanei reconnues comme des troupes gardant les limites frontalières et les Comitatenses, les armées se concentrant pour l'offensive à la demande des Empereurs. L'Historiographie récente nous a montré que la situation n'était pas aussi tranchée et que l'étendue des missions affectées à ces troupes pouvaient être de nature bien plus variées.

Malgré tout, les différences statutaires entre ces troupes sont parfaitement attestées dès la "seconde tétrarchie", institutionalisé par la suite par Constantin Ier.

Les textes qui permettent de comprendre ce rapport asymétriques entre des armées censément de même classe (par exemple les légions...) sont d'une importance capitale. Peut-être avez vous déjà entendu parler de la table de Bronze de Brigetio. Un document de première importance souvent cité par les Historiens spécialisés sans que les lecteurs du commun puissent avoir accès au contenu réel de l'inscription de cette table.

Sur la table de Bronze de Brigetio se trouve en fait gravé le texte d'un rescrit de l'Empereur Licinius daté du 9 juin 311 promulgué à Serdica (Sofia) et relatif aux privilèges fiscaux des soldats et des vétérans de l'Illyricum. Le texte fut encore affiché dans le camp légionnaire de l ville entre le 10 et e 31 dcmbre 311. Texte très riche dans les informations qu'il apporte, il est complété et révisé par une Loi de Constantin Ier affichée à Antioche le 17 juin 325 et compilé dans le Code théodosien. Ce sont ces privilèges qui seraient à l'origine du statut des Comitatenses.

Je vous propose de retranscrire ici ces deux textes:

"Voici ce que nous avons jugé bon de faire connaitre à Ta Dévotion: Que nos soldats, pour le temps de leur service, soient exonérés, en vertu de notre décision, de cinq Capita parmi ceux figurant au registre du Cens et comptant pour les prestations ordinaires de l'impôt annonaires. Qu'ils jouissent aussi des même privilèges quand, après avoir rempli les années de services prescrites par la Loi, ils ont obtenu leur Honesta Missio. De même que ceux qui l'ont obtenu après seulement vingt années de service soient exonérés de deux Capita faisant partie des charges annonaires, le leur et celui de leur épouse. Et si par hasard l'un d'eux devient incapable de servir à cause d'une bléssure obtenue dans le combat, même si pour cette raison il a obtenu l'exemption de ses biens avant d'avoir terminé ses vingt ans de service, qu'il participe également au bienfait de notre présent décret, de façon qu'il soit exonéré de son Caput et de celui de son épouse; que les soldats remercient donc de ses bienfaits Notre Prévoyance, qui veille par tous les moyens non seulement à la tranquilité, mais aussi aux avantages matériels de leur retraite"

Inscription de la table de Brigetio (AE, 1937, 232) le 9 juin 311.

Pierre Cosme du livre dont est tiré la traduction de la table nous dit que l'inscription parle de soldats (Milites) et de vétérans (Veterani) sans faire de référence aux corps de troupes auquels ils étaient attachés. La Loi de Constantin sur le même sujet va beaucoup plus loin.

La Loi de Constantin Ier extraite du Code Théodosien:

"L'Empereur Constantin à Maximus.

Que les soldats Comitatenses et Ripenses et les Protectores qui sont portés sur les rôles du Cens soient tous exonérés de leur Caput, ainsi que de ceux de leur père, leur mère et leur épouse, si du moins ces derniers sont encore en vie. Si cette condition n'est pas remplie pour l'une de ces personnes ou pour toutes les trois, qu'ils obtiennent alors pour leurs biens un dégrévement égal à celui qu'ils auraient obtenu pour ces personnes si elles avaient vécu, en sorte que toutefois, ils n'obtiennent le dégrèvement que de biens vraiment propres et non pas de biens étrangers par le moyen d'un pacte fictif conclu avec d'autres. Pour les vétérans émérites, nous ordonnons décharge de leur Caput et de celui de leur épouse; pour ceux qui n'ont que l'Honesta Missio, la décharge sera seulement de leur propre Caput. Les autres vétérans, à quelques corps qu'ils appartiennent, ne doivent jouir de l'exemption que d'un seul Caput pour eux et leur épouse à la fois. Quant au vétéran Ripensis, qui, en vertu d'une Loi antérieure, jouissait de l'exemption d'un seul Caput lorsqu'il avait reçu l'Honesta Missio après vingt quatre ans de service, nous voulons qu'il en jouisse au bout de vingt ans, à l'exemple des Comitatenses. Même faveur si il est réformé avant d'avoir accompli ce temps de service, puisque les faibles et les débiles ne sont pas inscrits sur les rôles du Cens. Quant aux Alares et aux Cohortales, qu'ils jouissent du dégrèvement de leur propre Caput pendant la durée de leur service, les vétérans devant avoir aussi le soulagement du même dégrèvement. Parmi ceux qui auront obtenu en quelque temps ou lieu que ce soit un diplôme de libération, ceux qui auront été renvoyé des corps des Comitatenses pour cause d'âge ou de santé jouiront sur l'ensemble de leur base contributive du dégrèvement de deux Capita, le leur et celui de leur femme; et les Ripenses auront le même privilège sur l'ensemble de leur cotes, s'ils peuvent établir qu'ils ont été renvoyés pour blessure de guerre; en sorte qu'il jouissent seulement de l'exonération de leur propre Caput s'ils ont cessé leur activité entre quinze et vingt quatre ans de service; car il faut que le Ripensis soit exempté en outre du Caput de son épouse s'il a quitté le service une fois ses vingt quatre ans accomplis.

Affiché à Antioche le quinzième jour avant les calendes de Juillet, sous le consulat de Paulinus et de Julianus"

Code Théodosien VII, 20, 4.

Quelques clefs:

- Le vétéran émérite (Emeritus) est le vétéran qui rempile dans l'armée après avoir terminé son temps de service.

-L'Honesta Missio est le congé honorable du soldat signifiant la fin de son service sous les enseignes. A son terme, il reçoit le diplôme de libération (une tablette de bronze...) Sous le Haut-Empire, ce diplôme valait l'obtention de la citoyenneté romaine pour les auxiliaires pérégrins. Il est possible qu'à l'époque tardive, cette pratique ait encore court pour les soldats d'origine barbare des auxilia ou des légions.

-Le temps de service pour les Comitatenses est de 20 ans et de 25 chez les Ripenses (les futurs Limitanei...) ce sont les même années qui différaient déjà les légions des auxiliaires au Haut-Empire. Le fait que les 25 ans de service soient obligatoires pour les Ripenses montre déjà un déséquilibre de statut. Un vétéran rempile pour 5 ans mais dans les faits, il peut passer sa vie entière dans l'armée.

-Il y a un souci égalitaire dans la Loi de Constantin mais l'alignement en partie sur les Comitatenses montre une situation réellement privilégiée (la famille au sens large se trouve exonérée par exemple...)

-Il est possible de quitter l'armée avant le temps requis dans les différents corps de troupe avec un certaine tolérance, le soldat perd la totalité ou une partie de ses privilèges fiscaux.

-Le Caput est l'impôt sur la personne. Celui-ci est calculé sur une base complexe relevant d'une assiette "Iugatio-Capitatio" (que je ne saurai expliquer correctement...) prenant en compte le matériel (animaux compris...) de la personne imposable, les terres de celle-ci, les personnes vivants sur ces terres, et le fortune personnelle (en numéraire) A l'impôt ordinaire peut s'ajouter des taxes et des levées exceptionnelles.

-Le recensement des biens des habitants opéré par les fonctionnaires impériaux est quinquenal et fait toujours l'objet de véhémentes critiques (les riches hurlent à la mort qu'on les saigne aux veines, les pauvres jettent des pierres...) Il est strictement suivi pendant la tétrarchie, sous Constantin Ier, et semble connaitre un relachement sous Constance II avant d'être suivi à nouveau sous Valentinien Ier. Il subira un sérieux coup d'arrêt au Ve siècle. Le souci du système est que l'impôt, sous cette forme, ne prend pas en compte les changements de fortune à l'année, ce qui peut expliquer les réactions négatives de cités appauvries qui souffrent d'un impôt basé sur une période anciennement plus faste.

-L'armée du temps de Constantin, entretient des rapports clientélaire avec son chef, ce qui peut expliquer les privilèges que l'empereur lui concéde. A l'image de la fin de la République, Constantin renoue avec les concessions éxonérés d'impôts aux vétérans en raison des friches des provinces dévastées par les excursions barbares. De même, devenu seul empereur; Constantin se doit de démobiliser dans les meilleurs conditions un nombre de troupes très important hérités des armées de ses rivaux défaits.