Nous sommes actuellement le 18 Avr 2024, 02:14

Heures au format UTC + 1 heure [ Heure d’été ]




Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 7 messages ] 
Auteur Message
 Sujet du message: L'Essor de la cavalerie.
Nouveau messagePublié: 20 Oct 2008, 12:07 
Hors-ligne
Avatar de l’utilisateur

Inscrit le: 04 Sep 2008, 19:30
Messages: 2747
Localisation: Laigneville
L'Essor de la cavalerie.

Puisque ce sujet semble passionner nombre d'entre nous, je vous propose ici, le fruit du travail d'un étudiant en Histoire, éléve de Sylvain Janniard, qui m'autorise gentilement à éditer sur notre forum cet exposé sur le thème de la cavalerie romaine, sous promesse de l'anonymat, ce que je repecte parfaitement. Tout ce que je peux vous dire de plus, c'est que l'étude de la cavalerie sera sans doute pour lui le sujet de ses futurs recherches. De plus, cet étudiant n'est absolument pas réfractaire à la reconstitution, bien au contraire.

Au passage il cherche actuellement des cavaliers émérites initiés à la reconstitution qui puissent répondre à ses questions de manière serieuse dans le cadre de ses recherches. Le méssage est passé.

En attendant, je vous souhaite bonne lecture de cet exposé que j'ai trouvé pour ma part très bon.


Introduction:

La question de l’« essor de cavalerie » dans l’armée romaine tardive a beaucoup intéressé les historiens, car ces derniers y ont vu une tentative de réponse du gouvernement impérial à certains aspects militaires de la crise du milieu du IIIe siècle. Cette lecture traditionnelle prend souvent appui sur une conception dichotomique de l’histoire militaire de Rome, opposant à l’exercitus du Haut Empire, une armée d’infanterie cantonnée le long de défenses frontalières (la "stratégie du limes" d’E. Luttwak), les conceptions militaires du Bas-Empire, accordant une place de choix à la cavalerie et dans lesquelles apparaît pour la première fois de manière permanente une armée d’intervention (comitatus), agissant de pair avec l’armée des frontières, dans le cadre d’une stratégie de «défense en profondeur».

Dans cet ordre d’idées, le IIIe siècle aurait compté comme une période de transition, durant laquelle se seraient dessinées les innovations militaires qui furent sanctionnées plus tard, à l’occasion des réformes promulguées par Dioclétien, puis Constantin. En effet, la lenteur de déplacement des unités traditionnelles, additionnée aux menaces simultanées qui marquèrent les années 230-260, aurait imposé la nécessité de recourir à une armée plus mobiles et donc mieux adaptée à ses nouvelles tâches. Dans ce cadre, de même que le recours aux vexillations se serait systématisé, les effectifs et la variété des unités de cavalerie de l’armée romaine aurait été multipliés. Ce processus, entamé dès l’époque des Sévères, aurait été couronné sous le principat de Gallien par une première grande «réforme de la cavalerie» (Ritterling). L’idée est donc simple: la nécessité d’intervenir rapidement dans les secteurs menacés a imposé une plus grande mobilité; celle-ci a été obtenue par l’emploi croissant d’unités montées, notamment auxiliaires.

Que Gallien et ses successeurs aient développé le rôle tactique et même stratégique de la cavalerie, nul ne le contestera. Mais il convient de nuancer cette conception téléologique, qui accorde à la période précédente un rôle tout aussi important, en interrogeant notamment les sources épigraphiques qui nous renseignent de manière concrète sur la nature de ces unités et la fréquence de leurs déplacements. Le corpus d’inscriptions proposées à notre étude nous reporte aux années 241-253 (à l’exception du dernier document, qui date du principat conjoint de Gallien et Valérien) et fait référence à différents types d’unités de cavalerie auxiliaire. Parmi ces 6 inscriptions, 3 sont des dédicaces religieuses, 2 des inscriptions funéraires, et la dernière, une inscription honorifique provenant de l’arc de Bostra (Arabie). Ces sources officielles ou semi-officielles nous permettent-t-elles d’attester l’existence d’une réponse cohérente et novatrice du gouvernement impérial à la crise militaire qui éclate entre les règnes de Gordien III et Valérien? Celle-ci rompt-elle avec un certain héritage du Haut-Empire ? Une définition claire du legs de l’époque précédente et de sa permanence dans l’armée du IIIe siècle paraît donc primordiale pour aborder la question.

Il faut aussi revenir sur un phénomène auquel l’on tend à accorder trop d’importance, puisqu’il semble révélateur du nouveau visage de la cavalerie tardive : celui du «développement de la cavalerie lourde romaine», pour reprendre le titre de l’article précurseur de J. W. Eadie. Nous pourrons ainsi tenter d’apporter des éléments de réponse au problème de l’«essor de la cavalerie», en insistant dans un troisième temps sur des questions d’ordre stratégique.

_________________
https://www.facebook.com/LesHerculiani

Damianus/Damien.


Haut
 Profil Envoyer un e-mail  
 
 Sujet du message: Re: La cavalerie romaine.
Nouveau messagePublié: 20 Oct 2008, 12:15 
Hors-ligne
Avatar de l’utilisateur

Inscrit le: 04 Sep 2008, 19:30
Messages: 2747
Localisation: Laigneville
I / La permanence du legs antonin

Les différents corps et grades évoqués dans les inscriptions du fascicule sont issus d’un ordre et d’une organisation traditionnels, dont la fixation remonte aux réformes mises en place dès le principat d’Auguste.

1 / Les auxilia comme corps d’armée complémentaire

-Les effectifs de l’armée des frontières sont répartis entre légions et corps auxiliaires. Ces derniers, dont il est question ici, ont pour fonction traditionnelle d’assister l’infanterie légionnaire, dont le rôle reste primordial sous tout le Haut-Empire. Mais, à l’époque qui nous concerne, ils tendent de plus en plus à être utilisés indépendamment des légions, aussi bien pour la guerre que pour des missions spécifiques. Ces auxiliaires sont eux-mêmes répartis entre cohortes d’infanterie, ailes de cavalerie et numeri. Les unités montées se rencontrent donc soit dans les alae, soit dans les numeri (bien qu’il arrive que certaines cohortes soit dites « montées » - equitatae) :

· Au sein de ces troupes, les ailes de cavalerie représentent une élite relative. Divisées en 16 turmes quand elles sont quingénaires ou 24 turmes quand elles sont milliaires, elles sont commandées par un préfet (Trebicius Gaudianus dans la quatrième inscription) ou un tribun, chaque turme ayant à sa tête un décurion (Marcius Cotum dans la cinquième inscription).

· Les numeri sont des troupes de soldats non romains ayant gardé leurs caractéristiques ethniques distinctives (langue, équipement). Ils font leur apparition au début du IIe siècle et sont employé en fonction de leur spécialité. Leur commandement est attribué à un tribun ou à un praepositus (Caelius Vibianus dans la sixième inscription).

-Ces unités sont désignés par un numéro, et un, voir, plusieurs surnoms, renvoyant à leur origine ethnique (cohors noua Syrorum ; numerus Maurorum) ou à leur spécificité (ala contariorum). Les autres cognomina sont souvent d’ordre honorifique : c’est le cas des unités portant le nom d’un empereur (Philippiana) ou la mention ciuium Romanorum, qui signifie qu’elles ont été gratifiée de la citoyenneté romaine par le passé. Car en effet, depuis la constitution antonine de 212, tous les soldats auxiliaires sont des citoyens ; ils portent les tria nomina. Ce qui explique que les Aurelii (gentilice de Caracalla) soient particulièrement nombreux à être mentionnés sur les stèles (sur celle d’Apamée : Aurelius Bassus).

-En temps de paix, les unités montées sont employées en qualité d’éclaireur, pour patrouiller, intervenir rapidement lorsqu’une menace se présente ou pour maintenir l’ordre de part et d’autre de la frontière. Les garnisons sont placées dans des provinces impériales, à des points stratégiques, là où les menaces extérieures sont importantes (Aballava en Bretagne, sur le mur d’Hadrien ; Ulcisia Castra en Pannonie inférieure face au Iazigues ; Apamée en Syrie, face aux Perses). En temps de guerre, le rôle généralement assigné à ces unités est d’attaquer et de bloquer les manœuvres de la cavalerie adverse ; de surprendre et encercler les troupes ennemies ; d’harceler les unités isolées par des escarmouches et de poursuivre l’adversaire en fuite. L’importance de la cavalerie auxiliaire fait contrepoids à la carence des unités montées mises à disposition de chaque légion (120 cavaliers). C’est aussi le moyen pour les autorités impériales d’adopter des formes des combats qui ne sont pas propres à la « tradition » militaire romaine.

2 / Les spécificité de la cavalerie auxiliaire traditionnelle

-Certaines inscriptions font en effet référence à des unités traditionnellement employées par l’armée romaine pour leurs compétences spécifiques :

· Le numerus Maurorum Aurelianorum, mentionné sur la dédicace religieuse d’Aballava, a sûrement été fondé, comme son nom l’indique, sous Marc Aurèle. Il se compose de cavalier Maures, recrutés au sein des tribus (gentes) des provinces de Maurétanie et de Numidie. On pense que ces derniers ont accompagné Septime Sévère lors de son expédition de Bretagne en 208, pour intégrer par la suite la garnison d’Aballava, située à l’extrémité ouest du mur d’Hadrien. Les Maures constituent une cavalerie légère qui offre le double avantage de sa grande mobilité et de son adresse à la javeline. Ils sont notamment représentés sur plusieurs reliefs (colonne Trajane), qui peuvent nous donner une idée de leur équipement (tunique, parma, javelines). On sait en particulier que les Maures montaient à cru des chevaux tenus par une simple corde, sans utiliser ni de selle, ni mors.

· En outre, la première inscription mentionne la cohors I noua Syrorum Sagittaria equitata. Cette unité, composée à la fois d’archers à pieds et d’archers montés d’origine syrienne (sagittarii equitati) est postée en Pannonie inférieure depuis le Ier siècle, à Ulcisia Castra. La situation géographique de cette garnison constitue vraisemblablement une réponse stratégique à la menace des archers montés sarmates, présents de l’autre côté du limes. Utilisés pour rendre l’ennemi vulnérable en le harcelant de flèches à distance, les sagittarii equitati, introduits dans l’armée romaine au temps des Flaviens, sont munis d’arcs composites et emploient la tactique touranienne propre aux cavaliers des steppes. Ce système, reposant sur une relative complémentarité entre infanterie légionnaire et cavalerie auxiliaire, n’est cependant pas exempt de défauts.

3 / Les carences du dispositif du Haut-Empire

-Au cours du IIIe siècle, les unités de cavalerie auxiliaires traditionnelles ne sont pas désuètes et le pouvoir impérial ne ressent en aucun cas le besoin de les remplacer par d’autres. Bien au contraire, les Maures vont jouer un rôle de plus en plus important dans la défense de l’Empire. Comme l’indique Zosime, ce sont eux seuls qui emportent la décision lors de la campagne de Philippe contre les Carpes, en 247. De même, les unités d’archers montés orientaux, postées en Pannonie inférieure depuis le Ier siècle (dans des camps comme celui d’Intercisa) le resteront jusqu’à la fin de la période, signe de leur efficacité. On en forme d’ailleurs de nouvelles après l’annexion du royaume d’Osrhoène, sous le principat de Septime Sévère.

-En revanche, il est vrai que ces unités de cavalerie légère, notamment les Maures, sont particulièrement vulnérables en raison du fait qu’elles ne portent pas d’armure. Elles sont aussi incapables de remplir les fonctions traditionnellement attribuées à la cavalerie lourde. Or celle-ci est depuis longtemps employée par les ennemis de l’Empire, notamment les Sarmates et les Perses. En outre, les effectifs de cavalerie de l’armée romaine demeurent très restreints et ne permettent que difficilement de faire face au nouvelle condition de la guerre engendrée par la prépondérance de la cavalerie chez les barbares. C’est dans ce cadre que s’affirme le rôle tactique d’un type d’unité bien spécifique : la cavalerie de choc.

_________________
https://www.facebook.com/LesHerculiani

Damianus/Damien.


Haut
 Profil Envoyer un e-mail  
 
 Sujet du message: Re: La cavalerie romaine.
Nouveau messagePublié: 20 Oct 2008, 12:22 
Hors-ligne
Avatar de l’utilisateur

Inscrit le: 04 Sep 2008, 19:30
Messages: 2747
Localisation: Laigneville
II / L’émergence d’une cavalerie de choc

On sait peut de chose de ces unités qui, au demeurant, sont restées fort peu nombreuses durant toute la période du Haut-Empire. Un article de référence, bien que dépassé sur certains points en raison de son ancienneté : J. W. Eadie, « The development of the Roman Mailed Cavalry », JRS, 1967.

1 / Une unité prototype : l’ala I Vlplia contariorum.

-Les historiens s’accordent aujourd’hui pour reconnaître l’origine orientale de la cavalerie lourde, qui fut sûrement conçue comme une réponse tactique de la puissance militaire achéménide à la phalange macédonienne. Au cours du IIIe siècle, l’armée romaine est toujours confrontée aux cataphractes Perses, auxquels elle s’est mesurée pour la première fois à Carrhes, en 54 av. J.-C. Si les autorités impériales ont attendu si longtemps avant d’adopter ce type d’unités, c’est probablement pour la simple et unique raison qu’elles n’étaient pas aussi efficaces que les modernes s’accordent à le croire. De nombreuses fois par le passé, l’infanterie romaine est parvenue à prendre le dessus sur ces cavaliers d’élite, et à Carrhes, l’intervention des cavaliers gaulois de Crassus, légèrement armés, fut suffisante pour les tenir en respect.

-Tardivement donc, dès la fin du Ier siècle, l’Empire romain adopte une première unité pouvant s’apparenter à ce type de cavalerie de choc, dans un contexte général marqué par la diversification des corps auxiliaires. Trajan est ainsi connu pour avoir créé la première unité régulière de contarii (« lanciers »), l’ala I Vlpia contariorum miliaria, mentionnée dans la cinquième inscription. Equipée, comme son nom l’indique, du contus, une lance lourde mesurant approximativement 3,5 m de long, cette aile de cavalerie apparaît dans un premier temps en Pannonie supérieure. S’inspirant indéniablement du modèle roxolan, elle semble davantage avoir été créée pour combattre les Quades (Arrabona se situe face à ce peuple) que pour rivaliser avec la cavalerie des steppes, puisqu’il s’agit en effet d’une cavalerie de choc, dont l’emploi principal réside dans l’enfoncement des premières lignes d’infanterie. En 252, l’ala I Vlpia contariorum a été transférée en Syrie, à Apamée dans le cadre de la guerre de Trébonien Galle contre Sapor Ier. De nombreuses inscriptions retrouvées dans cette ancienne place forte témoigne de sa présence. En revanche, encore à cette époque, les contarii romains ne semblent pas protégés par une armure. Le principal mérite de cette innovation revient à la création d’un autre type d’unité.

2 / Une cavalerie cuirassée : les catafractarii

-Une unité de catafractaires est mentionnée dans la quatrième inscription, l’ala noua firma catafractaria, dont la création remonte au règne d’Alexandre Sévère. Beaucoup d’historiens voient là le signe de l’adoption définitive de la cavalerie lourde par l’armée romaine des suites d’une initiative de cet empereur. A l’appui de cette supposition, SHA affirme qu’à la suite de la campagne orientale du dernier Sévère, les Romains s’emparèrent de l’armement des « clibanaires » perses. Cette assertion semble contestable, d’autant plus que la première unité connue de catafractaires remonte au principat d’Hadrien (117-138) : il s’agit de l’ala I Gallorum et Pannoniorum catafractata, attestée par une stèle découverte à Camerinum (Italie) et qui continue d’exister au IIIe siècle.

-Aucune autre unité de ce type ne semble avoir été créé avant l’apparition de l’aile dont il est question dans notre inscription, en 234, en Mésopotamie. Son préfet, Trebicius Gaudianus a laissé une inscription à Bostra (Arabie), en 244, qui la mentionne avec l’épithète Philippiana, signe du rôle important qu’elle a dû jouer au cours de la campagne orientale de Gordien III. L’origine du personnel de cette aile cuirassée semble avoir été mésopotamienne ou osrhoénienne, mais la nature de son équipement n’est en rien comparable à celui des cataphractes ou clibanaires orientaux.

3 / Une armée à l’école iranienne ?

-Contarii et catafractarii constituent dans l’armée romaine une cavalerie de choc, chargeant en formation serrée, de manière à opposer aux lignes d’infanterie ennemies un assaut compact, peu susceptible d’être désorganisé. Leur emploi permet donc de détruire le dispositif frontal de l’armée adverse. En cela l’Empire romain emprunte clairement des conceptions tactiques propres aux cavaleries parthe et sarmate. En revanche, il semble que l’équipement des catafractarii ait été tout à fait différent de celui des clibanarii et des cataphractes orientaux. Ceux-ci nous sont connus comme étant entièrement protégés par une armure lamellaire (ou d’écaille), cavalier comme cheval (fig. 4).

Or les unités romaines sont équipées différemment, selon des critères plus « occidentaux », dont une des caractéristiques est l’emploi combiné de la lance (contus) et du bouclier (scutum). En outre, si le cavalier est muni d’une armure d’écaille (lorica squamata) recouvrant son buste et d’un casque à lames rivées, la monture, elle, est dépourvue de toutes protections (fig. 3). Cette innovation est certes suffisante pour rendre ces cavaliers moins vulnérables aux traits, mais pas assez pour en faire d’authentiques cataphractes. La question de « l’adoption » de techniques militaires étrangères est donc à relativiser.

_________________
https://www.facebook.com/LesHerculiani

Damianus/Damien.


Haut
 Profil Envoyer un e-mail  
 
 Sujet du message: Re: La cavalerie romaine.
Nouveau messagePublié: 20 Oct 2008, 12:33 
Hors-ligne
Avatar de l’utilisateur

Inscrit le: 04 Sep 2008, 19:30
Messages: 2747
Localisation: Laigneville
III / Un « essor de la cavalerie » pour une « armée mobile » ?

1 / La cavalerie, reine des batailles ?

-Tous les historiens ne sont pas d’accord sur l’importance prise par la cavalerie romaine au cours de cette période. Certains sont persuadés que la crise du IIIe siècle a été causée par le manque de forces montées et que cette arme a pris un essor à partir des Sévères. Yann Le Bohec, dans son récent ouvrage (L’armée romaine sous le Bas-Empire), tend pour sa part à relativiser le rôle qu’elle a pu jouer à cette époque. Avant le principat conjoint d’Aurélien et de Gallien, le nombre d’unités montées n’a pas beaucoup augmenté. Une seule nouvelle aile de catafractaires est répertoriée pour la première moitié du IIIe siècle, alors que les effectifs de contarii se limitent vraisemblablement à ceux hérités du IIe siècle. Les levées de sagittarii equitati ont été plus nombreuses, mais elles semblent avant tout avoir profité à la frontière danubienne. La notion d’essor de la cavalerie est d’autant plus contestable qu’à l’époque qui nous intéresse, la cavalerie légionnaire n’a probablement pas encore été démultipliée par le système des equites promoti.

-Si, entre le IIe et le IVe siècle, la proportion entre unités de cavalerie et d’infanterie est passée de 1/10 à 1/3, il faut donc rattacher l’essentiel de cette progression à la période séparant le règne de Valérien de celui de Constantin. C’est en effet en 262, et pas avant, que des émissions monétaires honorent pour la première fois des cavaliers, sûrement en raison du rôle décisif qu’ils ont joué sur les champs de batailles des années 253-261. Mais même à cette époque, les légions représentent toujours la partie la plus solide de l’armée des frontières. L’infanterie reste reine de batailles, bien que triomphe parallèlement la conception antonine d’une troupe auxiliaire se répartissant en corps spécialisés. C’est en ce point que réside la véritable « innovation » du IIIe siècle.

2 / Une armée d’intervention ?

-Il est clair que le milieu du IIIe siècle est une période durant laquelle se manifeste l’inadaptation du système de défense aux frontières. L’Empire éprouve des difficultés à rassembler des effectifs suffisants pour combattre sur plusieurs fronts à la fois. Dans ce cadre, une fois percé le limes rhéno-danubien, un raid juthunges peut atteindre facilement l’Italie du Nord en 260. L’inscription d’Augsbourg témoigne de cette capacité des barbares à pénétrer jusqu’au cœur de l’Empire. Aussi, la création de nouveaux contingents de cavalerie peut être perçue comme le prélude au développement d’une armée d’intervention, beaucoup plus mobile, et susceptible d’agir rapidement dans les zones géographiques menacées. Ces unités ont en effet vocations à accompagner l’empereur dans ses déplacements :

· Prenons d’abord l’exemple de l’ala noua firma catafractaria. Créée dans la partie orientale de l’empire (sûrement la Mésopotamie), en 234, cette unité est transférée en Occident sous Maximin et participe aux campagnes contre les Alamans et les Germains en 235-236, puis à celle contre les Sarmates et les Daces, en 237. Lors de sa descente vers Rome en 238, Maximin, nous affirme Hérodien, a des cataphractes dans son armée : peut-être est-ce encore là une référence à cette unité. L’aile cuirassée apparaît ensuite en Arabie, sûrement en lien avec la campagne persique de Gordien III (244-249). Durant cette période, elle n’a donc cessé de suivre le prince dans ses campagnes.

· L’ala I Vlpia contariorum semble avoir été utilisée d’une manière similaire. En 252, cette unité de Pannonie passe d’Arrabona à Apamée, où sa présence est attestée par dix témoignages épigraphiques. Certains spécialistes pensent que l’aile dont il est question a été dépêchée sur place, au début de la deuxième guerre contre Sapor Ier, pour repousser les premiers raids sassanides en attendant l’arrivée de troupes plus fortes. Ces unités de cavalerie conviennent en effet parfaitement à la défense du limes d’une région désertique, elle-même exposée aux raids d’une cavalerie orientale.

-Elles desservent donc incontestablement, dans un cas comme dans l’autre, un enjeu stratégique, mais leur utilisation ne diffère pas de celle qu’en avaient faite Trajan ou Marc-Aurèle au cours de leurs campagnes. Plus généralement, la pratique consistant à déplacer des unités entières d’un front à l’autre, en fonction des besoins, est attestée depuis le Ier siècle. Si elle semble se généraliser ici, elle n’aboutie pas encore à une autonomisation des la cavalerie vis-à-vis de l’infanterie. A ce titre, il ne faut pas être induit en erreur par l’apparition du titre de dux (quatrième inscription). Celui-ci ne renferme pas la même acception que son homologue du Bas-Empire, mais désigne un commandement temporaire, ad hoc, qui ne correspond pas nécessairement à un ressort administratif défini. La pratique consistant à créer des commandements de circonstance s’accroît en effet à partir du milieu du IIIe siècle. La dernière inscription nous en donne un exemple. Elle nous montre que le praepositus du numerus des Maures est en même temps tribun de cohorte, et évoque dans le même temps, Iulius Rufinus, princeps, sans plus de précisions. Comme l’a démontré Speidel, il s’agit là probablement d’un commandement ad hoc qui a été attribué à ce personnage pour qu’il puisse prendre en charge le numerus en question dans le temps où son praepositus régulier a eu à commander une cohorte. Un usage pragmatique des structures traditionnelles de l’armée romaine est perceptible dans ces pratiques. Mais toutes ces innovations restent de circonstance, sans marquer de rupture définitive avec l’organisation héritée du passé.

3 / L’exemple d’une unité de circonstance :[i] l’ala Celerum [/i]

-Ce régiment de cavalerie, mentionné par deux de nos inscriptions, renvoie à un type unique d’unité, dont on ignore les caractéristiques précises. M. P. Speidel est le seul spécialiste à s’être penché sur la question, mais ses conclusions restent sujettes à caution, en raison du manque de témoignages explicites. L’ala Celerum ne nous est connue qu’en Arabie et en Norique, et semble avoir accompagné Philippe l’Arabe dans ses déplacements. Il s’agit probablement d’une unité de sagittarii equitati, comme la stèle funéraire d’Aggaeus le laisse entendre. Elle fut aussi sûrement créée en qualité de garde impériale, le génitif Celerum faisant référence aux Celeres dont Tite-Live nous dit qu’ils constituaient la garde rapprochée de Romulus, au temps de la fondation de Rome. De même, le grade d’hexarque, tout à fait inédit dans l’armée romaine du temps, renverrait aux seuiri, chefs d’escadron de l’aristocratie équestre de l’ancienne Rome.

-Cette référence à l’histoire mythique de l’Vrbs s’accorde bien avec l’idéologie archaïsante du IIIe siècle (Caracalla a levé en son temps une phalange macédonienne ; plus tard, Dioclétien fait renaître les triarii). Elle peut se comprendre d’une manière plus claire si l’on revient sur le contexte de la création de l’aile elle-même, qui fut probablement levée par Maximin le Thrace, au temps de l’usurpation des Gordiens et de l’affirmation politique du Sénat, affirmation qui, elle-même, s’accompagna d’une véritable lutte idéologique. Il y aurait eut la volonté de la part de l’empereur menacé de se présenter en nouveau Romulus, sur le point d’être assassiné par les sénateurs. Mais rien ne permet de certifier clairement cette hypothèse.

-Dans l’absolu, l’accroissement des effectifs veillant à la sécurité du prince correspondait sûrement aux nouvelles qualités qui étaient attendues de l’empereur, notamment son engagement toujours plus prononcé sur le théâtre des opérations militaires, voir, dans la mêlée. C’était aussi probablement une réponse à la fréquence accrue des coups d’Etat et des tentatives d’assassinat. Le sort d’Aggaeus, officier subalterne de cette aile, est à ce titre riche en enseignements. Mort en 249, « par la violence des militaires », il fut probablement pris à parti dans la guerre civile qui éclata cette année entre Dèce et Philippe l’Arabe, et aboutit à l’assassinat de ce premier, en Thrace. Peut-être qu’Aggaeus s’était prononcé en faveur de Philippe et fut tué à Virunum, où l’on à retrouvé sa stèle, par des soldats mutinés ; peut être aussi qu’il mourut en défendant l’empereur contre les traîtres en Thrace. Son décès manu militari atteste dans tous les cas la fidélité de son unité à « l’empereur soldat » et témoigne, par extension, de l’efficacité de cette aile nouvellement créée.

_________________
https://www.facebook.com/LesHerculiani

Damianus/Damien.


Haut
 Profil Envoyer un e-mail  
 
 Sujet du message: Re: La cavalerie romaine.
Nouveau messagePublié: 20 Oct 2008, 12:34 
Hors-ligne
Avatar de l’utilisateur

Inscrit le: 04 Sep 2008, 19:30
Messages: 2747
Localisation: Laigneville
Conclusion.

L’insuffisance de sa cavalerie a été l’une des faiblesses de l’armée du Haut-Empire. Toutefois les confrontations avec les peuples iraniens, Sarmates sur le Danube, Parthes, puis Perses en Orient ont incité les empereurs à renforcer cette arme. Au cours du IIIe siècle, leurs efforts ont porté principalement sur deux catégories de troupes : une cavalerie légère, armée d’arcs (sagittarii syriens et osrhoéniens) ou de javelots (les equites Mauri) et d’autre part, une cavalerie lourde, les cataphractarii, revêtus de la cuirasse et munis d’une forte lance (contos). Triomphe ainsi la conception d’une cavalerie différenciée en éléments techniques, dont le rôle au sein des nombreuses guerres qui caractérisent la période semble gagner en importance. En revanche, la question de savoir si ces mesures annoncent les structures de l’armée du Bas-Empire ne doit pas conduire à l’adoption d’idées fausse sur l’armée dont hérite Dioclétien en 284. Pour Y. Le Bohec, les conceptions traditionnelles ont prévalu et la crise du IIIe siècle fut aussi, sans doute, une crise d’adaptation de l’armée qui n’a pas assez évolué alors que ses ennemis avaient changé.

_________________
https://www.facebook.com/LesHerculiani

Damianus/Damien.


Haut
 Profil Envoyer un e-mail  
 
 Sujet du message: Re: La cavalerie romaine.
Nouveau messagePublié: 20 Oct 2008, 12:36 
Hors-ligne
Avatar de l’utilisateur

Inscrit le: 04 Sep 2008, 19:30
Messages: 2747
Localisation: Laigneville
Bibliographie:

Ouvrages et articles généraux:

P. COSME, L’armée romaine, Paris, 2007.
Y. LE BOHEC, L’armée romaine sous le Bas-Empire, Paris, 2006.
M. BIANCARDI, La cavalleria romana del principato nelle province occidentali dell’impero, 2004.
D. BREEZE, « Cavalry on frontiers : Hadrian to Honorius », BIAL, 29, p. 19-35.
K. DIXON, P. SOUTHERN, The Late Roman Army, Yale, 1996.
J. SPAUL, Ala 2. The Auxiliary Cavalry Units in the pre-Diocletianic Imperial Roman Army, Andover, 1994.
K. DIXON, P. SOUTHERN, The Roman Cavalry, London, 1992.
Y. LE BOHEC, L’armée romaine sous le Haut-Empire, Paris, 1989.
R. MACMULLEN, Roman Government’s Response to Crisis, A.D. 235-337, Yale, 1976.

Etudes spécialisées :

Sur les auxilia et leur commandement

E. BIRLEY, “Alae and cohorts milliariae”, Corolla memoriae E. Swoboda dedicate, Graz-Köln, 1996.
P. SOUTHERN, “The numeri of the Roman imperial army”, Britannia, 20, 1989, 81-89.
M. P. SPEIDEL, “The rise of mercenaries in the third century”, Tyche 2, 1987.
M. P. SPEIDEL, “Dux, praepositus“, ZPE 36, 1978, p. 263-278.
M. P. SPEIDEL, “The rise of the Ethnic Units in the Roman Imperial Army”, ANRW II, 3, 1975, p. 202-231.
M. P. SPEIDEL, “Princeps as a title for ad hoc commanders”, RAS 1, p. 189-195.

Sur la « cavalerie lourde »

V. P. NIKONOROV, “Cataphracti, Catafractarii and Clibanarii : Another Look at the old problem of their Identifications”, Voennaia arkheologia, St. Petersburg, 1998, p. 131-138.
M. MIELCZAREK, “Cataphracti and Clibanarii. Studies on the Heavy Armoured Cavalry of the Ancient World”, SHAMAW I, 1993
M. P. SPEIDEL, “Catafractarii clibanarii and the rise of the later Roman mailed cavalry : a gravestone from Claudiopolis in Bithynia”, Epigraphica Anatolica 4, 1984, 151-156.
J.W. EADIE, “The development of Roman Mailed Cavalry”, JRS, 57, 1967

Sur le développement de la cavalerie

M. P. SPEIDEL, “Ala Celerum Philippiana”, Tyche 7, 1992, p. 217-220.
SPEIDEL, « Horsemen of the Pannonian Alae », Saalburg Jahrbuch, 1987.
J.-C. COULSTON, « Roman, Parthian and Sassanid tactical developments », P. FREEMAN et D. KENNEDY (ed.), The Defence of the Roman and Byzantine East, Oxford, 1986.
J.-Ch. BALTY, “Apamée (1986), nouvelles données sur l’armée romaine d’Orient et les raids sassanides du milieu du IIIe siècle“, CRAI, 1987, p. 213-242.
M. P. SPEIDEL, “The Roman Army in Arabia”, ANRW II, 8, Berlin, 1977, p. 687-730.
M. P. SPEIDEL, “Stablesiani. The Raising of New Cavalry Units during the Crisis of the Roman Empire”, Chiron 4, 1974, p. 541-546.
A. D. H. BIVAR, “Cavalry equipment and tactics on the Euphrates Frontier”, DOP 26, 1972, p. 277-291.
J. FITZ, Les Syriens à Intercisa, Bruxelles, 1972 (collection Latomus 122).
J. BARADEZ, “Stèles de cavaliers de l’armée de Pannonie découvertes à Tipasa“, Libyca, 2, 1954, 113-126.

_________________
https://www.facebook.com/LesHerculiani

Damianus/Damien.


Haut
 Profil Envoyer un e-mail  
 
 Sujet du message: Re: L'Essor de la cavalerie.
Nouveau messagePublié: 22 Oct 2008, 15:03 
Hors-ligne
Avatar de l’utilisateur

Inscrit le: 20 Sep 2008, 11:29
Messages: 363
Je ne conteste qu'une seule chose, le mot "relativiser", certes l'arme miracle n'existe pas. Mais si le corps des cataphractaires existe, c'est qu'il répond a un besoin tactique et stratégique dans l'armée romaine tardive.


D'autres point sont a comptabiliser, notamment l'influence sur le moral d'unité courageuse mais non préparé a une charge de cavalerie lourde, comme la plupart des ennemis de Rome a l'ouest, certes je suis un vandale méchant, certes j'ai un curé en otage, mais ce panzer sur patte avec sa grande lance qui me fonce dessus au trot j'ai comme une appréhension du choc...

La nous venons de faire un bon dans le temps, a l'époque de la chevalerie du haut moyen age, ses fiers chevaliers qui dispersent joyeusement l'infanterie ennemis, qui s'égaye plus par peur que par réel efficacité de la cavalerie de l'époque.





Merci beaucoup Damianus pour ce regroupement de multiples informations très instructives :)

_________________
Image
Marcus Iunior


Haut
 Profil Envoyer un e-mail  
 
Afficher les messages depuis:  Trier par  
Publier un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 7 messages ] 

Heures au format UTC + 1 heure [ Heure d’été ]


Qui est en ligne ?

Utilisateurs parcourant actuellement ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 29 invités


Vous ne pouvez pas publier de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas insérer de pièces jointes dans ce forum

Sauter vers:  
cron
Powered by phpBB © 2000, 2002, 2005, 2007 phpBB Group
Translated by phpBB.fr © 2007, 2008 phpBB.fr
Thème 3myl_sable réalisé par SGo