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 Sujet du message: Libanios: Eloge de Constance II et la bataille de Singara.
Nouveau messagePublié: 05 Sep 2008, 20:13 
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Libanios Discours LIX.

Eloges des empereurs Constance et Constant.


Synthèse par Geta.

P132, sur l’éducation de Constance :

«Or le vulgaire croit que l’instruction en cette matière se limite à monter à cheval, bander un arc, toucher une cible avec un javelot, donner des coups d’épée, rendre son bras assez fort pour projeter la lance, résister au froids, ne jamais se laisser abattre par l’excès de la chaleur : cela aussi ne contribue certes pas peu à l’apprentissage du métier d’empereur, mais pour les nôtres, l’éducation ne se bornait pas là. Cela aussi faisait certes parti de leur entraînement ordinaire, mais il s’y ajoutait une part beaucoup plus estimable : quand ils avaient terminé leurs exercices dans ces disciplines, leur père formait leurs âmes par des règles de conduite ; il y implantait la justice, n’y laissait pas de place à l’injustice, leur faisait distinguer le temps de la colère et celui de l’indulgence, leur disait ce qu’est le despotisme, leur montrait ce qu’est la royauté, et que celui qui aspire à l’un a perdu l’autre. Personne ne saurait atteindre la minutie avec laquelle il dirigeait [Constantin] ses enfants chaque jour. »

P 142 à 145 les exploits de Constance : les préparatifs des perses.

«Donc ils [les perses] mettaient au point leurs forces : ils poussaient leur préparation en tout domaine, cavalerie, infanterie, archers, frondeurs ; chez eux depuis l’origine, ils importaient de l’étranger celles dont ils n’avaient pas la science, et, sans délaisser leurs propres manières de combattre, ils ajoutaient à leurs moyens d’action une préparation plus remarquable encore.

Informé de ce que ses ancêtres Darius et Xerxès avaient fait durer dix ans les préparatifs de leur expédition contre les grecs et jugeant à leur encontre que l’entreprise avait été insuffisante, il (1) décida lui-même d’en étendre la durée à quatre dizaines d’années (2). Pendant cette si longue période, une masse de richesses était amoncelée, une foule d’hommes était rassemblée, une force d’armes était forgée (3). Déjà, aussi, il avait rassemblé une population d’éléphants, non simplement pour le spectacle mais en vue du besoin futur. Il fit un édit général ordonnant de tout laisser pour s’entraîner à la guerre : les vieillards ne devaient pas quitter l’armée, les jeunes gens devaient s’enrôler ; ils laisseraient l’agriculture aux femmes pour passer quant à eux leur vie sous les armes. Il y a un point fort important que j’ai failli oublié mais qu’il vaut la peine de révéler : le roi des Perses avait à propos de sa propre terre un sujet de satisfaction, mais aussi un sujet de mécontentement, car s’il estimait qu’elle ne venait après aucune autre pour sa fécondité en hommes, il reprochait à son territoire de na pas donner des armes à la vertu de ses hommes puisqu’il ne laissait pas de découvrir de gisement de fer sur son étendue (4). En somme il pensait qu’il commandait certes à des hommes, mais que sa puissance était boiteuse, faute de matériel.

Comme, donc, il restait inactivement, pour l’essentiel, à étudier cette question et à s’en désoler, il décida d’emprunter une voie perfide et ignoble : il envoie une ambassade, use de flatteries comme d’habitude, se prosterne par ambassadeurs interposés ; il demande certaine grande quantité de fer sous prétexte d’expédition contre un autre peuple barbare voisin, en réalité résolu à utiliser la fourniture contre les fournisseur. Certes l’empereur n’ignorait pas la véritable raison (la nature de l’acquéreur lui en avait donné le soupçon), mais, tout en ayant compris exactement à quoi tendait le recours à la ruse et bien qu’il fût possible de refuser, il fit volontiers la livraison, voyant par raisonnements tout ce qui allait se passer, aussi bien que si cela était déjà arrivé, mais il avait honte de laisser à son fils des ennemis désarmés ; il voulait ôter par avance toute excuse à ceux-ci et cuirassait exprès les adversaires pour qu’ils soient précipités au moment où ils seraient dans le plein épanouissement de leur puissance : l’éclat des vaincu contribue à la gloire des vainqueurs. C’est donc avec cette conscience de sa grandeur et ces espoirs qu’il fit la livraison avec empressement, comme s’il voulait démontrer que même s’ils pouvaient exploiter les mines des Chalybes (5), ils ne se révéleraient pas pour autant supérieur aux peuples auxquels ils sont, par l’ordre de s choses, inférieurs.
L’autre pendant ce temps mettait au point sa préparation, d’une part grâce aux ressources intérieures, de l’autre grâce aux importations, les premières disponibles à profusion, les autres apportant un complément à proportion du besoin. Donc, pointes de javelot, sagares (6), pointes de lances, épées et tout instrument de guerre, il les faisait forger grâce à l’abondance de la matière première. Comme il étudiait toutes les possibilités et qu’il ne voulait rien laisser d’inexploré, il eut l’idée de constituer une cavalerie pour ainsi dire invulnérable. Car il ne limita pas l’armure, comme l’on faisait auparavant, aux seuls casques, cuirasses et cnémides, ni ne couvrit de bronze que le front et le poitrail des chevaux, mais il voulu que le cavalier fût recouvert de protections de la tête à la pointe des pieds et la monture du sommet du crâne à l’extrémité des sabots ; seuls seraient à découvert l’emplacement des yeux pour voir ce que l’on faisait et les narines pour ne pas étouffer (7). C’est à eux qu’on devait donner l’appellation d’hommes de bronze, plutôt qu’aux soldats évoqués par Hérodote ! Ils étaient obligés pour faire avancer leur cheval d’user de la voix en guise de mors et, porteurs d’une lance disponible pour l’une et l’autre main, ils devaient fondre sur les ennemis sans regarder autour d’eux, n’appliquant leur esprit qu’à l’action et confiant leur corps à la protection du fer.

Quand donc tout eut été mis au point, quand la puissance militaire fut prête à tous égards, le roi ne put se retenir davantage : voyant la taille de son armée, voyant l’invulnérabilité de son armement, calculant et la longueur de la préparation et la durée de l’entraînement, se peignant l’espoir d’une fortune victorieuse, il envoie une ambassade contester les frontières, afin que, si nous cédions le terrain, il fût vainqueur sans peine, et que si nous refusions toute concession, il mît en avant ce prétexte de guerre. Quand il entendit cela, le grand empereur, haïssant l’arrogance du personnage, déclara qu’il voulait lui donner personnellement ses réponses. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Dès qu’il se leva, tout se mit immédiatement en marche. Mais alors qu’il avait à peine entamé l’expédition et qu’il se trouvait près de notre citée (8), L’Être supérieur remarqua que le nom de ce souverain était inscrit sur bien des trophées ; il faillait aussi que, de ses deux fils, celui qui était en poste face aux Perses (Constance) s’illustrât par des victoires sur les barbares : dans cet esprit, il rappelle le père au ciel auprès de lui-même et confie le travail au fils.

Commentaires:

(1) [Sapor II roi sassanide. On remarque que Libanios en fait le descendant de Darius et Xerxès. En réalité, entre la perse achéménide et la Perse sassanide, il y eut un hiatus de près de 5 siècles. Mais les sassanides revendiquaient cette filiation. Face à eux, l’Empire romain est assimilé à la Grèce classique]

(2) la dernière guerre entre l’Empire et la Perse s’acheva en effet par la victoire de galère sur Narsès en 298. Une quarantaine d’années plus tard on est bien en 337.

(3) La perse sassanide disposait en effet de vastes arsenaux, les ambâr, que l’on remplissait en temps de paix avec de grandes quantités d’armes prêtes à être livrées aux troupes en cas de guerre.

(4) La faiblesse actuelle de l’Iran en ressources minières autre que le pétrole confirme les dires de Libanios.

(5) Peuple habitant à l’ouest de Caucase (Géorgie actuelle) qui passait pour avoir inventé la métallurgie du fer.

(6) Le terme a intrigué les scoliastes de Libanios, qui se demandent s’il s’agit d’une hache ou d’un poignard. Il semble que Bailly, dans son dictionnaire a vu juste en tranchant en faveur de la hache de combat. Car ce type d’arme a été utilisé à la fois par les Médes et les Scythes. Peut-être s’en fera-t-on une idée en confrontant deux représentations de nature et d’origine complètement différentes : sur un bas relief de l’escalier Est de l’Apadanâ à Persépolis, on peut voir un Mède debout, portant dans un étui suspendu à son ceinturon une énorme hache de guerre de forme arrondie ; la même arme, exactement, portée de la même manière, mais cette fois par un cavalier, est aussi représentée sur une teinture de feutre découverte dans le tumulus numéro 5 de la nécropole scythe de Pazirik dans l’Altaï. Rien n’indique cependant que le Sassanides _ mais leur passion archéologique pour l’époque achéménide ne l’exclu pas_ aient réellement porté des sagareis : la présence du mot dans le discours de Libanios permet de donner une couleur hérodotéenne au récit.

(7) Il s’agit du corps de cavalerie cuirassée connu dans les armées romaines de l’Antiquité tardive et à Byzance sous le nom de cataphractaires ou clibanarii. Les Romains semblent avoir crée des corps de ce type dès l’époque d’Hadrien, après les guerres contre les Parthes ; le panégyrique latin X, 22, en rapporte la présence parmi les troupes alignées par Maxence à la bataille de Turin. Donc Sapor ne saurait avoir « imaginé » les cataphractaires, et ce n’était pas non plus une nouveauté, même dans l’Empire romain. Sans doute la description des cuirassiers relève-t-elle davantage de la rhétorique que de l’histoire : elle ferait partie des morceaux attendus par l’auditoire, une vignette très à la mode pendant la première moitié du IV e siècle. On la retrouve non seulement dans les panégyriques latins, mais aussi chez Julien, I, 30, qui crédite quant à lui Constance de cette invention et qui atteste de la popularité du motif : « Bon nombre, s’étant risqué à en discourir… ». A la fin du siècle, Héliodore consacre encore une page colorée de son roman (Ethiopiques, IX, 14) à décrire ces cavaliers, et d’une manière qui rappelle curieusement l’ ekphrasis de Libanios.

(8) Nicomédie.

P 151, les exploits de Constances : les goths.

"Nous savons tous que cette partie-ci de l’Empire est enserrée entre les deux plus grandes nations barbares, d’un côté les Scythes (1) répandus au-delà du Danube, de l’autre la foule turbulente des Perses. Or, de ces peuples, les uns, malgré leurs hardiesses, ne réussissent à rien, et les autres ne se mettent même pas en branle. Qui donc serait si indifférent ou si engourdi qu’il n’ait fort envie de s’interroger sur la nature d’un fait si paradoxal : qu’est ce qui peut bien avoir persuadé les Scythes très sanguinaires, voués à Arès, qui voient dans la tranquillité un malheur, de se satisfaire de la paix, de déposer les armes, de traiter notre empereur comme s’il était des leurs, alors qu’il était pourtant bien loin du Danube et qu’il disposait ses forces contre un autre ennemi ? Quelle est donc la cause d’un fait si important ? C’est que l’empereur, également doué de courage et d’intelligence, maîtrise une partie de la situation grâce à son jugement sûr et gagne le reste grâce à la contrainte. On pourrait en juger en comparant la sûreté qui règne actuellement à la frontière scythe aux incursions antérieures, auxquelles on ne pouvait faire face ; il n’y avait qu’un seul vœu dont l’exaucement pouvait faire qu’on fût sauvé. C’était celui que la glace sur le Danube ne fût pas solide au point de permettre aussi l’invasion ! Mais qui pourra encore s’étonner du caractère solide de la tranquillité quand il aura appris leur empressement à conclure l’alliance ?

Ainsi, il n’y a rien qui ne frappe d’admiration, et toujours un nouvel exploit vient éclipser le précédent : quelque chose de très agréable à entendre, qui n’a jamais été mis en œuvre auparavant, mais qui n’est même pas venu à l’esprit de certains, et qui fut considéré comme impossible par les autres, ce à quoi on ne trouvera rien de comparable dans tous les actes de tous les rois, cela fut conçu, cela ne fut pas abandonné, cela est depuis peu réalisé. Une armée scythe partit prêter main-forte aux romains et s’aligner contre la puissance des Perses, pour garder intact l’empire des premiers et participer à la destruction de la tyrannie des seconds. Et, encore plus important, ces guerriers ne se sont pas contentés de faire pendant la campagne juste ce qu’il fallait pour respecter le traité, on ne les a pas vus non plus, au moment où l’on en avait besoin, faire exprès de mal se battre, ni, barbares voyant approcher des barbares, changer leur résolution à cette vue et passer aussitôt dans l’autre camp, à la manière des Thessaliens de jadis, mais, combattant dans l’ardeur et l’ouvrage de ceux qui les avaient convoqué (2). Et de cela il faut en rendre responsable non leur nature, mais la sagacité de l’empereur, qui les rendit d’infidèles fidèles, d’indisciplinés obéissants, d’inconstants solides, d’ennemis alliés ; qui, d’un seul coup stratégique, à la fois se procura leur aide contre les Perses et vida une bonne partie de la Scythie, qui poussa à se combattre délibérément des peuples pourtant unis sous la même dénomination, en sorte qu’il ne m’est pas facile, quant à moi, de décider s’il est digne d’être admiré plutôt pour son courage ou pour la sagacité de son plan.

Commentaires:

(1) Les Goths.

(2) En 297, Galère avait déjà employé un contingent gothique dans sa lutte contre les Perses. Jordanès raconte que les Goths ont aidé Maximien contre Narsès.

P 153 les exploits de Constance : les émeutes de Constantinople.

"Et voici une confirmation de ce même propos : pendant que l’empereur soutenait une si grande guerre, une sédition inattendue éclata à l’intérieur de l’empire et certaine grave agitation s’empara de la plus grande ville de ce côté-ci, la deuxième après la plus grande du monde (1).

Commentaires:

(1) Constantinople puis Rome. L’agitation en question eut lieu en 342, et était provoquée par des luttes entre chrétiens. Libanios était présent dans la capitale pendant cette période, et il eut à pâtir de ces événements (cf. : son autobiographie). Les ariens de Constantinople refusèrent l’autorité du nicéen Paul et se donnèrent leur propre évêque en la personne de Macédonios ; les deux partis s’affrontant sans cesse, Constance chargea son maître de cavalerie Hermogène de destituer Paul et de l’envoyer en exil. Mais les nicéens massacrèrent le représentant de l’empereur et chassèrent le gouverneur de la ville.

P 155 à 163 Les exploits de Constance : la bataille de Singara (344).

"Allons ! Evoquons aussi le souvenir de la dernière bataille ; la dernière, mais aussi la grande, il est permis de le dire, même beaucoup plus digne d’être appelée grande que celle de Corinthe, si célèbre. Je me fais fort de prouver que l’empereur s’y est révélé vainqueur à la fois des Perses et de ses propres troupes. Et que personne, avant d’avoir rien écouté, ne mette en doute ces supériorités : attendez de connaître mon raisonnement, vous pourrez ainsi prononcer votre jugement.

Je veux commencer un peu plus haut dans le temps : on aura ainsi une vision d’ensemble plus exacte.

Les Perses, découragés par les attaques de l’empereur et meurtris par la longueur de la guerre, trouvèrent dans la rudesse du sort une incitation à courir des risques (qui n’a pas de plaisir à vivre ne craint pas de mourir). Voulant que ce fût au moins pour en avoir donné s’ils recevaient encore des coups, ils enrôlent les hommes dès la puberté, décrétant que même chez les tout jeunes gens la désertion ne serait pas impunie : ils rassemblent aussi les femmes pour protéger les bagages de l’expédition (1). Par des supplications, ils persuadent diverses nations barbares voisines de participer à l’aventure, ils en contraignent d’autres par la force à servir leurs besoins, à d’autres encore ils offrent une bonne part de l’or qu’ils avaient depuis longtemps en réserve et qui fut dépensé alors en cette première occasion pour engager des mercenaires (2). Quand, ayant fouillé tout le territoire de leur pays, ils eurent abandonnés leurs cités en les laissant désertes, qu’une foule énorme se trouva comprimée à l’étroit et que, s’occupant de leur entraînement au cours de la marche, ils firent route vers le fleuve (3), l’empereur sut, bien sûr, ce qui se passait. Comment serait passé inaperçu un mouvement à ce point important, puisque la poussière était soulevée jusqu’au milieu de l’éther, que le fracas mêlé des chevaux, des hommes et des armes empêchait de dormir même à très grande distance, que les espions prenaient visuellement connaissance de la chose et qu’ils apportaient la nouvelle, non en la conjecturant sur le rapport des autres, mais d’après la vision qu’ils en avaient ?

Lui, quand il en fut clairement informé, ne changea pas de couleur comme un homme frappé au cœur par l’épouvante, mais il cherche un plan approprié aux circonstances et ordonne aux postes de garde des frontières de se replier au plus vite, sans s’inquiéter de l’établissement de ponts sur le fleuve, ni repousser le débarquement, ni empêcher la construction de fortifications ; au contraire, il faillait les laisser creuser des fossés, s’ils le voulaient, jeter les fondations d’un retranchement et l’entourer d’une palissade, prendre largement le contrôle des sources et s’emparer des positions les plus avantageuses. Car s’ils traversaient et s’installaient, ce n’était pas cela qui lui donnait de la crainte, mais si, refoulés tout de suite, ils en tiraient prétexte pour la fuite. Il fallait donc appâter l’ennemi par un débarquement sans crainte (4).

Comme cela leur était concédé et que personne de notre côté ne se présentait, ils jetèrent trois ponts sur le fleuve et traversèrent partout en rangs serrés. D’abord ils ne cessèrent de débarquer continûment, jour et nuit. Ensuite, comme il fallait se fortifier, ils élevèrent une enceinte en un seul jour, plus promptement que les Grecs devant Troie. Déjà, tout était plein des troupes qui avaient traversé, la rive du fleuve, la largeur de la plaine, les sommets de montagnes. Aucune catégorie de combattants ne manquait pour faire une armée complète : archers, archers à cheval, frondeurs, fantassins, cavaliers, et le corps de troupe entièrement cuirassé. Tandis qu’ils étaient encore à délibérer sur la direction à prendre, l’empereur leur apparut, surpassant en éclat toute image homérique ; il prend position et étudie l’ensemble de la situation.

Les Perses décidèrent alors à peu près ceci : ils disposèrent leurs archers et leurs lanceurs de javelots sur le hauteurs et sur le mur, quant aux cuirassiers, ils les campèrent en avant du mur. Le reste prit les armes et avança à la rencontre de leurs adversaires pour les faire lever. Mais quand ils les virent bouger, ils firent aussitôt demi-tour et s’enfuirent pour attirer leurs poursuivants à portée des traits, afin qu’ils fussent accablés de flèches par en haut (5).
Donc la poursuite dura quelques temps, et même la plus grande partie de la journée, mais quand les fuyards atteignirent le mur et que le moment fut alors venu d’intervenir pour les archers et pour les troupes fraîches placées devant le mur, ce fut là que l’empereur remporta une victoire, non au sens habituel et comme il y en a eu beaucoup de nos jours et précédemment, non une victoire dont la réalisation tient à la force physique et aux instruments de guerre, ni pour laquelle il est besoin de partage, sans quoi on ne pourrait la remporter, mais une victoire qu’il est permis de dire purement personnelle de celui qui l’a remportée.

De quoi s’agit-il ? Lui seul devina le motif de leurs actes, à lui seul ne passa pas inaperçu le sens du dispositif, lui seul cria l’ordre de ne pas poursuivre et de ne pas se précipiter dans un danger manifeste. Maintenant, vraiment, j’admire encore plus l’avis du poète, celui où il dit qu’une réflexion empreinte de sagesse vaut plus que beaucoup de bras. L’empereur, en y recourant et en comprenant tout d’une seul coup, voyait l’avenir tout aussi bien que ce qui était présent et en cours. Et il avait parfaitement raison. La distance entre les deux camps était de 150 stades (6), la poursuite commença à l’heure où l’agora est pleine et l’on atteignit le mur qu’en fin d’après midi. En prenant vraiment tout en considération, le poids des armes, la longueur de la poursuite, la brûlure du soleil, l’excès de la soif, la nuit qui approchait, les archers sur les collines, il jugea que si l’on pouvait mépriser les perses, il fallait pourtant tenir compte des circonstances.

Donc, si les soldats avaient obéi à l’ordre et se leur ardeur n’avait prévalu sur son conseil, rien n’aurait empêché et pour nos adversaires d’être battus comme ils le sont à présent, et pour leurs vainqueurs d’être sains et saufs. Mais en fait, plus on les blâmera, plus on fera d’honneur à l’empereur : puisqu’il ont échoué en désobéissant, ils ont donné du lustre à l’avis de leur conseiller. Quant à moi, certes j’appelle aussi les victoires des empereurs toutes celles qui ont été réalisées en collaboration, mais je considère comme beaucoup plus glorieuses celles où il est impossible de citer les autres responsables. C’est pourquoi, même si l’on avait la sévérité de formuler le reproche que tout ne fut pas accompli avec bon sens de la part des soldats, rien n’empêcherait que ceux-ci n’aient complètement réussi et que lui, il n’ait été vainqueur à tous égards, et d’eux les premiers, puisqu’il eut un meilleur jugement qu’eux.

Mais il est juste aussi d’examiner la vertu des combattants, et de bien montrer à tous avec quels grands désavantages ils étaient partis à l’attaque et quelle sorte d’hommes ils se révélèrent. D’abord, donc, lors de la mêlée avec les cuirassiers stationnés devant le mur, ils trouvèrent une tactique permettant de vaincre cet armement. Quand le cheval chargeait, le fantassin s’écartait, le laissant foncer dans le vide, et ce fantassin, au moment où le cavalier se trouvait à sa hauteur, frappait celui-ci à la tempe d’un coup de bâton, le renversait et avait toute facilité pour terminer son œuvre (7). Ensuite, à peine se furent-ils attaqués au mur qu’ils firent s’écrouler l’ensemble, des merlons jusqu’à la première assise- et de résistance, point ! J’aurais fait grand cas de dire encore qui fut le premier à démonter l’enceinte et de m’attarder sur sa bravoure, car peut-être cela n’aurait-il pas été plus désagréable à entendre que le récit de l’incendie qui dévora la flotte des thessaliens. Mais puisque le temps ne le permet pas, il faut assurément aller à un rythme non ordinaire !

Donc, l’enceinte était rigoureusement à terre et les hommes s’y déversaient, jugeant que c’était bien peu, ce qu’ils avaient fait ; ils mettent en pièce les tentes, ils ramassent le butin à leur portée à titre de récompense des efforts déjà fournis, tuent tous ceux qu’ils surprennent dans le campement (il n’y eut que les fuyards qui restèrent en vie).

Bien que la mise en déroute ait été brillante, l’action avait besoin d’un jour plus brillant, si possible, pour le parachèvement des succès ; mais, parce qu’elle s’égara en un combat nocturne, qu’ils furent accablés de flèches ) partir des collines, qu’ils se retrouvèrent désormais assaillis de tous côtés par les lances et les javelots qui venaient se briser dans leur corps, que la nuit les privait de la possibilité de tirer parti de leurs propres forces, que les hoplites, avançant malgré l’obscurité, attaquaient les troupes légères (qui a distance sont supérieures), et qu’ils étaient fatigués face à des troupes fraîches, ils perdirent des hommes de valeur _ mais parvinrent à chasser les ennemis du terrain.

Vraiment, qui aurait résisté au courage de ces hommes s’ils y avaient joint le raisonnement, puisque, malgré la grandeur des obstacles qu’ils rencontrèrent, rien ne les priva de faire la preuve de leur rang supérieur ? Qui ne soutiendrait que les perses ont été manifestement battus, eux qui avaient traversé le fleuve pour conquérir une terre étrangère, qui disposaient de tant d’avantages et qui durent abandonner leurs espoirs et s’en repartir battant retraite ?
Donc, ou bien l’on reconnaît la supériorité et la sagesse des conseils : par ces conseils, l’empereur s’est révélé meilleur et que ses propres troupes et que les adversaires ; ou bien l’on préfère juger uniquement sur les actes ; les autres abandonnèrent leur camp pour se précipiter sur le pont de bateaux, tandis que chez nous, les uns tombèrent, mais vainqueurs en leur âme, bien qu’ils aient laissé abattre leur corps, et les autres, qui rentrèrent, ne revinrent pas avant d’avoir purgé d’ennemis la place. Et je n’ajoute pas la nature du terrain, plus nuisible que la force des ennemis, ne que les perses utilisèrent même des femmes pour affronter le danger, tandis que le principal de nos armées ne participa point au combat.
Faisons donc l’examen critique de cette bataille en nous fondant sur trois points, un : avant le combat, deux ; pendant l’action, trois : au moment de la déroute.

Donc, ils accomplirent leur débarquement et franchirent le fleuve sans avoir à forcer les défenses, mais en profitant de la latitude que leur donnait notre volonté de ne pas les en empêcher ; et, après avoir débarqué et étudié les alentours, ils choisirent et occupèrent les positions les plus fortes et ce n’est pas en état d’infériorité militaire qu’ils se précipitèrent contre les troupes qui apparaissaient. Jusque-là, l’avantage était donc de leur côté, mais quand les armées se rencontrèrent, au lieu de résister à l’attaque et de lutter corps à corps, ils commencèrent la bataille par la fuite. Etant allé s’enfermer dans leur enceinte, ils ne défendirent même pas leur mur, mais ils perdirent leur fort, et perdirent en outre les richesses contenues dans leurs tentes. Ceux qui s’étaient laissé surprendre tombaient, sans aucun ordre ; sous leur yeux, le fils du roi, le prince héritier, fut capturé vif, fouetté, aiguillonné et peu après mis en pièce. Le peu de succès qu’ils aient jamais pu obtenir, ce fut par subterfuge, non par acte de bravoure. Voilà pour le cours du combat et voici pour la suite : ils n’ont pas remporté leurs morts ; serrés de près, ils ont fui, ils ont détruit leurs ponts, et ils n’ont plus l’espoir de prendre leur revanche de ce désastre, même en rêve ! Leur roi, d’une puissance éclatante et dont la vaillance s’arrête aux menaces, a détruit en l’arrachant sa superbe chevelure, naguère objet de ses soins, il se frappe la tête à coups redoublés et il gémit sur le meurtre de son fils, il gémit sur la perte de ses armées, il pleure sa terre vidée de ses paysans, sa décision est prise ; couper la tête de ceux qui ne lui ont pas offert le beau cadeau du succès sur les romains.

Cela, ce n’est pas une histoire que j’aurais forgée pour faire plaisir : des déserteurs risquant leur vie nous en informent explicitement. Il n’y a pas lieu de douter de leur parole, car ils ne cherchent pas à plaire par un mensonge sur les risques encourus. Donc, ces preuves font que la victoire n’est pas contestable, au contraire de celle de Tanagra, voire par Zeus ! de celle qui opposa les Tégéates et les Mantinéens en Oresthide.

Je peux citer un argument bien plus fort que celui-là, auquel le maître des perses lui-même, je crois, ne trouverait pas à redire. En effet, que pendant le combat de nuit, les perses restés sur place s’en retournèrent, cela est reconnu des deux côtés. Dans ces conditions, de deux choses l’une, nécessairement : ou bien il sont fui parce qu’ils étaient vaincus, ou bien, alors qu’ils étaient vainqueurs, ils ont pourtant eu peur de ce qui allait se passer. Si l’on s’en tient à la première proposition, la victoire est nettement de notre côté ; si malgré l’avantage obtenu lors du combat de nuit, ils n’ont pas osé poursuivre jusqu’au bout, la victoire revient bien davantage à l’empereur. Ceux, en effet, qui ont dominé leurs adversaires au combat, mais n’ont pas résisté à la dextre de ce prince, ont assurément rendu évident aux yeux de tous que la force de l’empereur ne réside pas tant dans ses troupes que dans sa personne.
Non, bien qu’il soit un tel homme de guerre, il n’est pas sans donner matière à éloge dans le reste, mais, tout en étant à ce point éclatant dans les armes, il est bien meilleur encore dans le reste que dans les armes, en sorte qu’on peut dire de lui : « et bon roi et puissant guerrier ». Il pense en effet, que ce n’est pas à le voir se mettre en colère plus que le reste des hommes qu’on le trouvera supérieur aux autres, mais à ce que, goûtant la douceur davantage que les autres, il n’est en rien moins capable de s’imposer à tous.

Commentaires:

(1) On remarque le rôle actif des femmes dans la société et dans l’armée perses, ce qu’attestent aussi Julien et Zonaras. Vu de l’empire romain, cela semblait inconcevable, et c’était une preuve éclatante du manque de virilité des Perses.

(2) Les deux premiers types d’auxiliaires doivent être constitués de peuples alliés ou vassaux, Arméniens, Saces, Arabes Sarracènes et autres peuples vivant entre la Mésopotamie et l’Inde. Quant aux mercenaires, il doit s’agir des Huns vivant au nord du Caucase auxquels les Perses faisaient souvent appel dans cet emploi. Ce paragraphe prouve la qualité de la documentation dont dispose libanios. Autre confirmation de la véracité de ses dires (la dépense d’un trésor gardé en réserve), on constate sous Sapor II une bien plus forte production de monnaies en or que sous ses prédécesseurs.

(3) Le Tigre.

(4) Il est clair que dans ces paragraphes, Libanios cherche à transformer, par la rhétorique, des événements qui ne sont pas du tout à l’honneur de Constance, et qui peut-être lui étaient reprochés. Ses écrits laissent deviner que l’invasion a pris Constance par surprise et que les troupes qui gardaient la frontière se sont enfuies. D’une part, il s’attendait peut-être à voir Sapor venir battre une fois de plus les murailles de Nisibis, ou remonter la haute vallée du Tigre vers Bézabdé et Amida, comme cela était déjà arrivé et arriverait encore. D’autre part, depuis la réforme de Constantin, ceux qui tenaient le limes étaient les limitanei ou ripenses, troupes de deuxième ordre, pour une bonne part complétées par des auxiliaires barbares, c’est peut-être là, le long du Tigre, qu’avait été déployée une partie des Goths dont Libanios a parlé précédemment.

(5) Cette tactique correspond à ce qu’on peut savoir par ailleurs : l’arc est l’arme favorite des Sassanides, remarque Procope, ils savent produire une véritable nuée de flèches, grâce à leur rapidité et à un procédé de tir en roulement continu, les archers se remplaçant les uns les autres. Cependant, parce que leurs cordes ne sont guère tendues, ils n’ont pas la force de tirer très loin, ce qui expliquerait qu’on ait attiré les troupes de Constance le plus près possible du mur où étaient postés les tireurs.

(6) A peut près 26 km. Julien (discours I, 19) donne une distance de 100 stades (un peu moins de 18 Km) ce qui est plus vraisemblable, Julien a sans doute voulu corriger Libanios.

(7) Selon le panégyrique latin X, 22, les fantassins de Constantin avaient utilisé la même tactique contre le cataphractaires de Maxence à la bataille de Turin. (cf. : le résumé de ce panégyrique que nous a envoyé Damianus)

Page 165 Les choix de vie de Constance :

« Il ne consacre pas ses heures de repos au sommeil et à l’inertie, mais il occupe ses loisirs à l’entraînement militaire… »

P 167 Les exploits de Constant : les francs

« Jamais par le passé, ceux qui avaient obtenu la responsabilité de l’empire voisin de ce peuple ne trouvaient ni les paroles capables de le persuader de rester tranquille, ni la force armée de l’y contraindre, et il leur fallait, en campant continuellement à la frontière, s’opposer nuit et jour à leurs incursions, ni prendre un repas sans armes, ni se débarrasser de leur casque pour faire une pause en sûreté, mais, presque soudés à leur armure, porter constamment le fer contre les anciens Acarnaniens. Et la situation était la même que sur les récifs, quand la mer, poussée par des rafales diverses, est hérissée de vagues en séries. Car, de même qu’alors, avant que la première vague ne se soit brisée complètement autour des récifs, la deuxième la recouvre, puis aussitôt la troisième, et ainsi de suite jusqu’à l’apaisement des rafales, de même, exactement, les tribus de fractes, poussées à la folie par leur amour de la guerre, attaquaient en rangs serrés, et avant que la première vague eût été vraiment repoussée, une deuxième armée s’abattait. Mais il fallait que les vagues de ce peuple aussi fussent un jour apaisées et que l’agitation se figeât en stabilité ; parut un empereur qui transforma leur insatiable amour pour les faits de guerre en rien d’autre qu’un désir de paix, parce qu’il montra une volonté de se battre plus grande que la leur. Aussi n’osèrent-ils pas en venir à l’épreuve du combat, mais la crainte suffit à produire l’effet de cette épreuve, et ils ne levèrent pas la main pour lancer leurs javelines, mais ils la tendirent pour demander un traité. »

P 172 Les choix de vie de Constant.

« Ainsi, pour ce prince, le jour se passe dans les travaux, et la nuit est à l’égal des jours. L’ivresse est exclue, la sobriété est de coutume, tout paresseux est son pire ennemi, celui qui reste éveillé son ami. Il n’a pas lui-même pour protection de sa vie celle que procurent les gardes, mais il fournit la sienne à ses gardes ! Car, quand il les surprend plongés dans un profond sommeil, il ne refuse pas le pardon à ce relâchement , et c’est lui-même, prenant pour ainsi dire les armes contre la nature des choses, qui se saisi d’une lance et qui se charge du tour de garde dans le palais. Il est à la peine continûment, en toutes saison et à toutes occasions. […]

Et _ que pourrait-on rechercher de mieux ?_ quand il n’a pas d’ennemis à affronter, il s’arme contre les bêtes sauvages (1), et quand in ne trouve pas l’occasion d’éprouver sa bravoure à la guerre, il donne dans le simulacre de celle-ci la preuve de sa virilité : il exerce son corps en plein soleil, et il pense que la pénombre fait plonger ceux qui en usent dans la mollesse. Bref, il préfère être appelé roi pour l’excellence de sa vertu plutôt que pour la supériorité de son sort. »

Commentaires:

(1) C’est d’ailleurs en profitant de ce qu’il était parti chasser que Magnence le détrôna en 350.

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