Il y a une certaine fascination à l'évocation des terribles cataphractaires et autres clibanaires. Ces puissants cavaliers tout de fer vêtu. Sans rentrer dans la polémique s'interrogeant sur l'efficacité réelle de cette arme en terme tactique; voici ici quelques extraits de descriptions de ces cavaliers lourds dans les sources anciennes. Parmis ceux-ci, le meilleur qui m'est connu à ce jour, que je n'ai découvert que très récemment et qui m'a fait faire des bonds tant la description est précise et... surprenante. On peut se poser bien des questions et revenir de même sur l'efficacité avérée ou non des cataphractaires... je vous fais partager ces écrits:
(…)"Tout autour on voyait flotter les dragons attachés à des hampes incrustées de pierreries, et dont la pourpre, gonflée par l'air qui s'engouffrait dans leurs gueules béantes, rendait un bruit assez semblable aux sifflements de colère du monstre, tandis que leurs longues queues se déroulaient au gré du vent. Des deux côtés du char paraissait une file de soldats, le bouclier au bras, le casque en tête, la cuirasse sur la poitrine; armes étincelantes, dont les reflets éblouissaient les yeux. Venaient ensuite des détachements de cataphractes ou "clibanaires", comme les appellent les Perses; cavaliers armés de pied en cap, que l'on eût pris pour autant de bronzes équestres sortis de l'atelier de Praxitèle. Les parties de l'armure de ces guerriers correspondant à chaque jointure, à chaque articulation du tronc ou des membres, étaient composées d'un tissu de mailles d'acier si déliées et si flexibles, que toute l'enveloppe de métal adhérait exactement au corps sans gêner aucun de ses mouvements."(…) Ammien Marcellin, Res Gestae, LIVRE XVI, Chapitre 10.
Ammien Marcellin est fils d'un riche curial d'Antioche. Ne voulant assumer les liturgies de son ordre, il entre dans l'armée. De par sa naissance il sert dans la garde des Protectores Domestici. Militaire et "agent secret", son service s'étend de Constance II jusqu'aux Valentiniens (?). Il écrira son Histoire à Rome où il mourra dans les années 390. C'est un romain païen modéré et traditionaliste. Militaire, il figure donc comme la source la plus fiable et la plus précise de son époque malgré la permanence de certains topiques littéraires propres aux élites cultivées de l'antiquité Tardive...
l'évocation du cavalier comme d'une statue est une remarque stéréotypée qui revient de nombreuse fois dans les textes de l'époque. La figure du cataphractaire est toujours présentée comme impressionnante et exceptionnelle. Ici, la cotte de maille semble recouvrir tout le corps du cavalier. Nous avons ailleurs une description plus précise encore.
"Tu avais une masse innombrable de cavaliers, immobiles sur leurs chevaux comme autant de statues aux membres articulés... Allant de l'extrémité du poignet jusqu'aux coudes et s'étendant de là sur les épaules, une cuirasse de maille s'adapte ensuite à leur poitrine et à leur dos. Le visage étant garanti par un masque de fer, ils ont l'air d'une statue qui brille et reluit: les jambes avec les cuisses et le bout des pieds ont aussi leur armure, rattachée à la cuirasse par une sorte de tissu fait de minces anneaux, de sorte qu'aucune partie du corps ne se laisse voir à nu; ce tissu, en garnissant les mains elles-mêmes, se prête à la flexion des doigts." Panégyrique de Constance II (Traduction J. Bidez, p54-55).
Les deux Panégyriques de Julien César pour Constance II. Bien qu'éminemment orientés politiquement, ils foisonnent de nombreux détails m-réalistes mi-emphatiques...
Une fois de plus, apparait la comparaison avec une statue. En plus de l'évocation de la cuirasse de maille, il est signalé le port d'un casque à visage. Notons que la constitution du texte pourrait suggérer d'autres éléments d'armures différents de la cotte de maille. Relevons que les anneaux recouvrent de même les mains du cavalier.
Enfin voici pour moi la description la plus saisissante des cataphractaires romains du IVe siècle ap.-J.C. De la constitution de l'armure (une vraie notice!) à la prise singulière de la lance, la description est si minutieuse qu'il suffirait au reconstituteur de la suivre mot à mot. Avis aux amateurs!
"Voici quelle est la forme de leur armure. L'homme est choisi pour sa vigueur exceptionnelle. Il est coiffé d'un casque compact, fait d'une seule pièce, qui, tel un masque, représente exactement une figure humaine et recouvre entièrement la tête depuis le sommet du crane jusqu'au cou, sauf les yeux, pour permettre de voir. Sa main droite est armée d'une lance (Kontos) plus longue qu'une haste (lonkhè); la main gauche reste libre pour tenir les rênes. Une épée (Kopis) est suspendue à son coté. La poitrine et tout le reste du corps sont cuirassés. Voici comment est faite la cuirasse; des plaques de bronze et de fer, quadrangulaire, et d'un empan dans chaque sens, sont liées entre elles par leurs extrémités, s'imbriquant les unes dans les autres dans le sens de la hauteur et dans le sens de la largeur, d'une façon continue. Elles sont attachées ensemble par-dessous par des liens lâches à l'endroit où elles se rejoignent. C'est comme un vêtement d'écailles qui adhère au corps sans le blesser et l'enveloppe complètement, entourant chaque jambe séparément sans gêner les mouvements, car il peut se contracter et s'allonger. Elle a des manches et va du col au genou, ouverte seulement à hauteur des cuisses pour permettre à l'homme de monter à cheval. Sur une telle cuirasse, le traits rebondissent et nulle blessure n'est à redouter. La cnémide va de la pointe du pied au genou et s'attache à la cuirasse. Une armure semblable protége aussi le cheval: ses membres sont entourés de jambières; sa tête complètement couverte de plaques frontales; de son dos pend de chaque coté, sur les flancs, une housse de lames de fer qui le protège, tout en laissant libre le dessous du ventre afin de ne pas gêner sa course. Le cheval ainsi armé et pour ainsi dire enchâssé, le cavalier l'enfourche; mais il ne se hisse pas seul; il faut qu'on le soulève à cause de son poids. Et quand arrive le moment du combat, il lâche la bride, éperonne sa monture et s'élance de toute sa fougue sur l'ennemi, pareil à un homme de fer ou à une statue sculptée dans la masse qui se mettrait en mouvement. Le Kontos horizontale darde au loin sa pointe. Il est soutenu du coté du fer par un lien attaché au col du cheval, tandis que sa poignée est fixée à la croupe par un lacet. Ainsi il ne cède pas sous les chocs, mais aide la main du cavalier qui n'a qu'à diriger le coup. L'homme se raidit et s'arc-boute pour faire une blessure plus profonde, et son élan est si impétueux qu'il transperce tout ce qu'il trouve devant lui, et souvent, d'un seul coup, désarçonne deux ennemis à la fois." Héliodore, Ethiopiques, IX, 15; traduction d'après Maillon, J., Paris, Les belles Lettres, C.U.F. 1960.
On sait peu de chose d'Héliodore d'Emèse, qu'on s'accorde aujourd'hui à dater de la seconde moitié du IVe siècle d'après P. Chuvin dans "Chronique des derniers païens ", Paris, 1990, pp321-325. Les Ethiopiques où Théagène et Chariclée est un roman d'amour et d'aventure (et oui, les romains en ont toujours été friands…) censé se dérouler dans l'Egypte sous la domination achéménide ( Ve siècle av.-J.C.). Cet extrait est tiré d'un des morceaux de bravoure du récit, la bataille imaginaire entre les Perses et les Ethiopiens. Merci encore à la bibliothèque Universitaire de Beauvais!
Absolument stupéfiant! Cette description s'inspire des réalités militaires contemporaines. Une telle richesse de précision, même Ammien n'a jamais atteints ce niveau. Nul doute qu'Héliodore a vu des cataphractaires. Le montage de la cuirasse. Une cuirasse d'écaille plus proche de la cuirasse lamellaire. Fendue en son milieu. Les pièces d'armures comme les Cnémides (des jambières segmentées comme sur la colonne d'Arcadius ou dans la Notitia Dignitatum?) Le cavalier aidé d'un comparse pour monter à cheval. Le casque à visage à rapprocher des casques de parade bien loin du simple facial Ve siècle retrouvé en Hongrie. Que dire enfin de la méthode de charge et des lanières de cuirs reliant le Kontos (oui, l'auteur écrit en Grec…) à la monture. Cette description est un vrai bijou. Il n'y a plus qu'à faire et expérimenté! Qui parlait de Panzer à patte?
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