Régis Le Gall Tanguy a écrit:
Suite à une invitation lancée par Mr. A.-Y. Bourgès, je parcours depuis quelques jours le forum « d’Armes et guerriers au temps des grandes invasions ». Je n’y ai pas participé jusqu’à présent mais les coups d’œil hâtifs que j’ai pu jeter sur les sujets abordés m’ont convaincu de la qualité des intervenants. C’est un vrai plaisir de retrouver ici Agraes/Morcan dont j’admire l’esprit de synthèse et la connaissance approfondie des dark ages britanniques.
La discussion engagée ici m’intéresse particulièrement, je me lance donc dans l’aventure « Armes et guerriers » en revenant sur ce qui a pu être dit :
Heureux de vous retrouver, Régis, et d'avoir contribué à votre venue sur ce forum.
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Sur la carte tout d’abord je me permettrais une observation générale : Le moins que l’on puisse dire c’est ce qu’il est riche, très riche peut être un peu trop même. Je fais un peu cartographie de mon côté - et Dieu sait si mes productions ne sont pas parfaites ! - mais j’ai tendance à penser que donner trop d'informations nuit à la compréhension d’un document. Le principe des cartes de synthèse me paraît contestable.
Parlons du fond maintenant : Comme l’a noté Morcant plusieurs des indications données sont critiquables :
-La référence à cette cité des Coriosopites qui n’a jamais existée. H. Waquet et les chercheurs qui l’ont suivi pensaient que la civitas des Osismes avait été divisée au Bas Empire entre deux circonscriptions : une première au nord organisée autour du Yaudet et une seconde au sud, appelée cité des Coriosopites, rassemblée autour de Quimper. La mention d’une civitas coriosopitum dans certains manuscrits de la Notitia Galliarum était selon eux la preuve de la véracité de cette division mais on sait aujourd’hui que ce nom est une forme fautive de civitas coriosolitum (la cité des Coriosolites).
Ce véritable "pataquès" est la conséquence de l'érection tardive (fin Xe voire début XIe siècle) des évêchés de Tréguier et Saint-Brieuc aux dépens de ceux de Léon et d'Alet : les nouveaux prélats - du moins celui de Tréguier - ont cherché à rattacher leur siège aux anciennes
civitates, valant droit à un siège épiscopal "officiel" et dont la
Notitia Galliae conservait la liste dans de nombreux manuscrits comportant de multiples cacographies ou variantes. Je raconterai le détail de cet épisode d'auto-intoxication et de manipulation dans une étude que j'ai en cours... En tout cas, ces Coriosopites existent bien sûr, du moins leur chef-lieu de cité (
Corisopitum), mais simplement dans l'esprit de certains clercs (à Quimper, à Redon,...) et à partir du XIe siècle. Ont-ils pour autant leur place sur une "carte de synthèse" dont vous soulignez à juste titre les limites ?
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-L’identification d’Osismis à Brest qui n’est pas assurée. Le premier document à présenter la cité du Ponant comme l’ancien chef-lieu de civitas (et comme « cité des légions » ce qui est aussi indiquée sur la carte) est la vie de saint Gouesnou qui n’a été composée qu’à la fin du XIIe siècle…
Les fragments conservés de la
vita de saint Goëznou sont un fatras, fascinants pour l'histoire littéraire, comme en témoigne notamment l'influence que ce texte a exercée sur le Livre des faits d'Arthur : voir
ici en ligne "La cour ducale de Bretagne et la légende arthurienne au bas Moyen Âge : Prolégomènes à une édition critique des fragments du
Livre des faits d'Arthur", paru dans
A travers les îles celtiques. Mélanges à la mémoire de Gwenaël Le Duc, 2008 (=
Britannia monastica n° 12), p. 79-119.
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-Même problème sur l’identification du Gesocribate mentionné sur la table de Peutinguer. Rien n’est certain.
En effet : pourriez-vous nous indiquer les dernières hypothèses sur Gesocribate ?
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-La plupart des localités citées ne sont pas attestés par la documentation de l’époque. Cela ne signifie pas qu’elle n’existait pas mais il faut être rigoureux (sur ce point j’ai peut être la dent dure puisque la carte indique essentiellement les toponymes en plou et ac que l’on considère traditionnellement comme très anciens).
La carte couvre la période jusque vers 1200, date à laquelle la documentation toponymique est malgré tout assez abondante.
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Sur Cornouaille et Domnomée maintenant :
La première mention de la Cornouaille « continentale » (la Cornouaille sans « s » final donc) semble apparaître dans la notice de 851-857 garantissant aux moines de Redon la libre élection de leur abbé (Cartulaire de Redon, éd. Aurélien de Courson, Paris, 1863, p. 365-366, appendix n° XXI). Un episcopus Cornogallensis est mentionné parmi les témoins. Cornogallensis est - je pense - un adjectif dérivant de Cornugallia, un terme que l’on retrouve employé à la même période dans la vie brève de Guénolé. Sa correspondance avec le mot Cornubia, que l’on retrouve notamment dans la vita de Guénolé contenue dans le cartulaire de Landévennec, ne fait aucun doute.
Cornugallensis figure également dans
la charte CCCLVI du cartulaire de Redon, dont le regretté H. Guillotel disait prudemment qu'il s'agissait d'un acte "pour le moins réécrit" où cet adjectif s'applique au comte Alain (1021).
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La première évocation de la Domnomée continentale apparaît elle (c’est du moins ce que l’on a pensé jusqu’à présent) dans la première vie de Samson (dernier tiers VIIIe s. ?) Un des passages de ce récit rapporte qu’après sa victoire sur Conomor le prince breton Judual « régna sur toute la Domnomée » (Pierre FLOBERT, La vie ancienne de saint Samson, Paris, 1997, I-59, p. 232-233 : Atque homini multi […] cum Iuduali venerunt ad Brittanniam atque […] victoriam Iudualo Deus dedit […] et ipse postea in totam cum suis sobolis regnaverit Domnoniam).
Vers 880 Wrmonoc, l’hagiographe de Guénolé, établit une distinction claire entre la Domnomée et la Cornouaille lorsqu’il décrit le voyage du fondateur de Landévennec après son départ de l’île Lavret (au large de Paimpol) : « Traversant les pagi « domnoméens » en direction de l’occident et parvenant aux confins de la Cornouaille, il découvrit enfin le refuge désiré avec ses compagnons dans une île qui est appelée Thopépigie (Tibidy) » (Vita Winwaloei, dans Cartulaire de Landévennec, éd. A. de la Borderie, Rennes, 1888,II-III, p. 60 : per pagos ad occidentem versus Domnonicos transiens circaque Cornubie confinium persulstrans, tandem in insula quae Thopepigia nuncupatur cum comitibus prospere hospitatus est.)
Pour la théorie de M. Coumert (qui pense qu’il n’existait pas de Domnomée « armoricaine » mais uniquement une Domnomée insulaire), je suis sceptique mais j’attends de lire sa démonstration . Une chose est en tout cas certaine : Il existait plusieurs principautés bretonnes dans la péninsule au très haut Moyen Age. La lecture de Grégoire de Tours ne laisse aucun doute sur ce point.
Pour ceux qui ne connaissent pas le latin voici la traduction, proposée par S. Falhun, des 2 paragraphes de la vita d’Hervé cités par M. Bourgès :
§ 1 :C’est au temps où le vénérable adorateur de Dieu Childebert était roi des Francs que naquit saint Hervé dans les régions occidentales. Son père était Harvian et sa mère Rivanon, originaire de cette contrée. Harvian était très doué et possédait plusieurs langues : il était chanteur poète. Il composait en effet des chants rythmés sur des airs nouveaux. Bien qu’il vécût au milieu des plaisirs des cours royales et charmât les courtisans de sa gaité et sa jovialité, il demeurait toujours dans la crainte du Seigneur au point de se garder de toute iniquité. Il distribuait de larges aumônes, veillait et priait assidument et vivait dans la continence absolue. En raison de son talent musical, il fut invité par le roi à sa cour et retenu auprès de lui un certain temps.
§ 2 Au moment de retourner dans son pays, il fut comblé de présents et on lui donna des lettres royales prescrivant à Conomor, préfet du roi, de le transporter en bateau jusqu’à sa terre natale. De fait la traversée est courte entre notre Domnomée et la Bretagne d’Outre-mer. Au cours de son voyage à travers les résidences royales, il fit trois nuits de rang le même rêve…
Dans le § 2 on constate que l’hagiographe situe clairement la Domnomée sur le continent puisqu’il distingue cette région (nostram Domnoniam) de la « Bretagne d’outre-mer ». Je ne pense pas cependant que cet indice suffira à convaincre M. Coumert de l’existence d’un « Domnomée armoricaine » (mais ce n’est peut être pas le but de M. Bourgès).
L'historienne semble supposer que la Domnomée continentale est une invention des hagiographes bretons. Cette dernière serait née d’une mauvaise lecture de la première vie de saint Samson. La Domnomée citée dans ce texte ne se situerait pas en petite (comme les bretons du IXe et les chercheurs du XIXe et XXe siècle le pensaient) mais en "Grande" Bretagne.
A la lecture du texte de la vita les choses ne m’apparaissent pas aussi claires (l’hagiographe situe le conflit qui opposa Judual et Conomor in Europa comme le montre la lecture du paragraphe II-53). mais j’avoue être une piètre latiniste. Le futur article de M. Coumert me convaincra peut être
J'attends moi aussi la démonstration écrite de Magali Coumert.
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Je suis bavard! Pardon!
Non, plutôt disert, ce qui me paraît être une qualité !
Bien cordialement.