LES CELTIQUES : SERVITUDE ET GRANDEUR DES AUXILIAIRES BRETONS SOUS L’EMPIRE ROMAINThèse de Soazick Kerneis (soutenance en 1991), Docteur en Histoire du Droit et Maître de Conférences à l’Université Paris-X-Nanterre.
Publiée aux Presses Universitaires de la faculté de droit de Clermont-Ferrand – 1998.
L’ouvrage peut être commandée auprès de la faculté de droit de Clermont-Ferrand :
http://www.droit.u-clermont1.fr/?id=982Résumé – quatrième de couvertureA l'heure de la construction européenne, le thème de la frontière suscite de nombreuses études qui permettent de mieux appréhender une réalité complexe. Il faut attendre le IIè siècle pour que l'Empire romain décide de matérialiser les limites de son pouvoir. Le "limes" n'était pas seulement une infrastructure militaire : c'était aussi un espace, une zone intermédiaire dont la différence pouvait être accusée par l'implantation de communautés étrangères. De nombreux prisonniers de guerre y furent dès lors systématiquement déportés.
En Germanie supérieure, les sources épigraphiques montrent la présence d'unités bretonnes avec leurs familles - pour l'essentiel originaires de la sauvage Calédonie - ainsi que celles de Germaniques, reliquat d'anciennes tribus décimées : une proximité qui favorisa l'épanouissement de la civilisation des Celtiques, rencontre de traditions barbares sur fond de romanité militaire.
Ces barbares de l'intérieur étaient des déditices dont Gaius disait qu'ils jouissaient de "la pire espèce de liberté". Pourtant leurs communautés apprirent à s'organiser, à reproduire, plus ou moins fictivement, des formes plus orthodoxes d'organisation juridique. Mais en 212, lorsque Caracalla généralisa le droit de cité aux provinciaux, il excepta nommément les dédices : l'Empire ne pouvait fonctionner sans marge.
Au IVè siècle, l'Empire se militarise. Constantin renforce une grande armée de marche où les auxiliaires barbares sont prépondérants. La célèbre vision de l'empereur, dans sa version païenne, marque la place acquise par les Celtiques. Les établissements déditices se multiplient, cette fois à l'intérieur de l'Empire, et notamment en Gaule du Nord où des territoires entiers leur sont assignés. La mosaïque qui se crée alors préfigure les premiers royaumes barbares ; l'Europe des "nations" était déjà en marche.
Avant-propos de la fiche de lectureUn excellent ouvrage dont j’avais promis de parler plus en détail il y a déjà un certain temps. Si on parle souvent des effectifs germains dans l’armée romaine notamment tardive, les peuples insulaires se voient en général mis à l’écart. L’un des objets de l’ouvrage est donc de rétablir le rôle des Bretons (entendu ici comme peuples des îles britanniques) dans la défense de l’empire, à la haute comme à la basse époque d’ailleurs. Cette thèse ouvre aussi de nouvelles perspectives quand aux origines de la Bretagne continentale.
Certaines théories pourront vous paraître osées dans ce bref exposé récapitulatif qui suit, mais n’en sont pas moins intéressantes !
PREMIERE PARTIE
LA GERMANIE, MATRICE DES CELTIKOIChapitre 1 – La stratégie frontalièreLe
limes ne doit pas être vu comme une simple frontière, mais comme un véritable trait d’union entre les mondes romain et barbare. Au IIe siècle apparaissent les corps irréguliers des
numeri, populations barbares souvent déportées de leur territoire d’origine. La frontière romaine, parfois située au milieu du territoire de royaumes clients d’une loyauté douteuse, permet de briser l’unité des barbares – en l’occurrence ici des Germains des Champs Décumates. L’implantation dans l’espace frontalier de Bretons déportés contribue à fragmenter encore les territoires germaniques. Les
nationes en exil conservent leurs langues et coutumes. Ces vaincus ou
deditices envoyés loin de leurs pays serviront donc dans les
numeri barbares, mais là où les
exploratores germains sont utilisés dans des missions de reconnaissance et d’espionnage, les Bretons sont employés surtout à des tâches de construction et de logistique.
Chapitre 2 – La Bretagne, « sitôt conquise, sitôt perdue »La conquête de l’Ile de Bretagne ne fut pas une mince affaire pour Rome. Les forces de l’empire rencontrèrent de nombreux problèmes dans le nord, amenant à l’édification des murs d’Hadrien (en 120) et d’Antonin (en 140). La continuité d’occupation de certains forts au Pays de Galles montre là aussi des difficultés à pacifier une partie des tribus bretonnes, refusant la civilisation romaine.
Outre se rallier les factions pro-romaines, la tactique fut d’exiler parfois par peuples entiers les vaincus lors des différentes campagnes, vers la Germanie. Les premiers
numeri Britonnum sont attestés vers 145, après la victoire de Lollius Urbicus contre les tribus du nord.
Chapitre 3 – Les prisonniers du « mur du Diable »Il semble que les
numeri aient été stationnés à l’intérieur de certains camps de cohortes, là où il y avait besoin de main d’œuvre. Ces
numeri n’étant qu’une partie des
nationes, terme désignant ici les peuples déportés, communautés civiles participant à la frontière.
En territoire mattiaque, on a un
vicus novus Meloniorum. Les
Meloni (celtique *melinos, blond) sont peut être des Bretons, plusieurs
numeri Brittonum étant attestés à proximité. D’autres indices contribuent à démonter l’implantation des
deditices bretons en Germanie supérieure. Soazick Kerneis répertorie ainsi 5 communautés militaires barbares dans la province, trois sont essentiellement germaniques mais ont pu recevoir des apports bretons, deux seraient bretonnes.
La romanité représente une promotion sociale pour ces barbares des marges de l’empire, ils ne peuvent y accéder que par les armes – et cette ascension fut longtemps difficile. Cependant les anciens
deditices parvenus à la citoyenneté romaine ne rejettent pas leurs origines.
On assiste à la création d’un phénomène culturel, que S. Kerneis nomme « la civilisation des
Celticoi », à savoir le rapprochement puis la fusion progressive entre les populations germaniques et bretonnes, car exclues également de la romanité. Elle cite entre autres une dédicace à Xanten aux
Matres Brittae et aux
Mattiacae.
Zosime livre quelques éléments sur les « celtiques ». Constantin recrute ses forces « parmis les prisonniers de guerre barbares […] les Germains et les autres peuplades celtiques (
celtikoi) ». L’usurpateur Magnence emploie lui des
celtoi. L’auteur envisage donc ces « celtiques » comme étant issus du syncrétisme entre communautés bretonnes et germaniques dans les Champs Décumates.
En 212 l’édit de Caracalla accorde la citoyenneté à tous les habitants de l’empire. Mais les communautés
deditices en sont naturellement exclues, l’empereur conservant une marge de manœuvre, maintenant les
nationes dans les franges de la romanité, des exclus qui ne pouvaient accéder à la citoyenneté toujours que par le service armé, en faisant de dévoués partisans par ailleurs.
Commentaire de cette première partie :Je n’ai pas trop détaillé cette première partie de l’ouvrage, essentiellement consacré au haut empire. L’exposé sur le statut juridique de ces barbares me semble brillamment mené, il faut dire que je ne connais pas grand-chose en la matière !
Je relève cependant la dénomination de « celtiques » comme étant quelque peu problématique. Il ne me semble pas que les Bretons étaient dénommés comme celtes par les Romains, le terme s’appliquant essentiellement aux Gaulois (même si les auteurs classiques mentionnent clairement la proximité entre les populations de Gaule et de Bretagne). Par contre je crois me souvenir que les Romains considèrent parfois les Germains comme celtiques. Des souvenirs à vérifier… Malgré tout l’édifice ne s’écroule pas pour autant, la fusion culturelle entre Germains et Bretons étant démontrée, et ces populations étant en partie déplacées avec la perte des Champs Décumates.
DEUXIEME PARTIE
LA REVANCHE DES VAINCUSLa crise du IIIe siècle inaugure de profondes mutations dans le monde romain. Les réformes de Dioclétien et Constantin transforment l’armée au Bas Empire, et les
deditices y trouvent une place de choix. Le citoyen romain refuse souvent la conscription, alors que le barbare s’y engage volontiers. L’installation de communautés barbares à l’intérieur de l’empire contribue à la mise en valeur des terres délaissées et constitue un vivier de recrues. Il s’agit des lètes ou
laeti, et
gentiles (venant des
gens ou tribus, à opposer aux cités).
Chapitre 4 – Constantin et le signe du salutLe
labarum est d’origine discutée. Si la tradition lui donne une origine chrétienne de part la célèbre vision constantinienne du
chi-ro, il ne faut pas oublier que deux ans avant le pont de Milvius Constantin eut une autre vision, celle d’Apollon lui conférant également un signe de victoire. L’empereur jouait il double jeu ? Il semble à la fois favorable aux Chrétiens comme aux Païens.
Zosime fait référence au recrutement intensif de prisonniers de guerre barbares. Les barbares se retrouvent intégrés à l’armée régulière, au sein du
comitatus impérial, hissés dans la garde de Constantin dans les
auxilia palatinae.
Pour Hoffmann que reprend S. Kerneis, les auxiliaires de Constantin étaient germaniques, à l’exception des deux unités « bretonnes » des
Attacoti et des
Britones. Le recrutement fut opéré notamment dans les colonies lètiques de Gaule, et Hoffmann rejette une identité gauloise provinciale de certaines
auxilia : « il est invraisemblable, si l’on excepte quelques unités bretonnes, qu’il se trouve encore des contingents de nationalité celte ; aussi se vérifie l’hypothèse selon laquelle la majorité des auxiliaires étaient de nationalité germanique. »
S. Kerneis revient sur cette affirmation en analysant le début de la carrière de l’empereur. Constantin parvient à s’échapper à la surveillance de Galère pour rejoindre son père en 306, embarquant pour la Bretagne puis menant une campagne contre les Pictes, « vers le seuil extrême du monde ». Le 25 Décembre, Constance Chlore décède et l’armée acclame son fils Auguste. Constance Chlore aurait selon son panégyriste incorporé les forces de Carausius aux siennes après la défaite de ce dernier, et Zosime parle des forces de Bretagne enrôlées par Constantin. L’expédition chez les Pictes aurait été une occasion de recruter des troupes (les
Felices, Invicti et
Victores) qui porteront d’ailleurs sur leurs boucliers le soleil septentrional qui ne se couche jamais ; un soleil invaincu sur lequel le panégyriste de Constantin revient à plusieurs reprises : « Les régions voisines du ciel sont sans doute plus sacrées que les régions sises au milieu des terres, et, d’une contrée ou finit la terre il est plus à la porter des dieux d’envoyer un empereur. »
Où Constantin eut il sa vision d’Apollon ? S. Kerneis démontre qu’elle eut lieu au temple du dieu à Grand, aux portes de l’empire, sanctuaire majeur dédié à Apollon Grannus, un Apollon donc gaulois et solaire ; punisseur de parjures : « par ses eaux ferventes sont punis les parjures qu’il te faut par-dessus tout haïr » déclare le panégyriste de 310. S. Kerneis fait le lien avec le rituel de l’ordalie à l’eau bouillante, uniquement par ailleurs connu des Celtes et des Francs Saliens. Est-ce un hasard si nous retrouvons là les colonies lètiques déplacées des Champs Décumates ? L’auteur tente notamment d’identifier les traces de populations d’origine bretonne dans les noms des
pagi médiévaux des environs, par exemple un
pagus Solacensis dont le
vicus était Solimarica au IIIe siècle. Le nom serait à rapprocher de celui de la déesse brittonique Sol et évoque celui des
Sol-Ui ou
Selgovae, tribu bretonne du sud-ouest de l’Ecosse actuelle. On retrouve également des dévotions à Apollon Grannus dans les environs d’un tribun Consinius (formé d’un celtique Con-Sen, « ancien du chien » ?), et d’un Scottius fils de Cottius, deux noms apparemment celtiques, le premier évoquant inévitablement les Scotti ou Irlandais… Une dédicace à Grannus fut aussi retrouvée dans la région d’Edinburgh. L’Apollon de Grand serait donc le dieu des
deditices des environs, notamment de part leur lointaine ascendance bretonne.
Le syncrétisme des signesL’origine du signe figurant sur le
labarum de Constantin est discutée, les uns sont partisans de la vision païenne et les autres de la vision chrétienne. Le fait est qu’en 312, Constantin est toujours adorateur de Sol Invictus. Selon l’interprétation que l’on en fait, le signe vu en 310 évoque déjà fortement le
chi-ro, comportant un X répété par trois fois dans une couronne de lauriers. Cette hypothèse en exclut elle l’autre ? Constantin avait peut être délibérément opté pour un emblème interprétable de différentes manières…
Le signe évoque également la roue solaire adorée par les Celtes insulaires. Le X est un signe solaire,
ebad, dans l’Ogam, script insulaire apparu au IVe siècle en Irlande et au Pays de Galles. Le O de la couronne est
Onn, le gênet. On retrouve enfin le bouleau,
Beith, symbole du pilier du monde, porte du soleil et de l’Autre Monde. Cela donne le gênet-soleil jaune sur le bouleau blanc, que l’on retrouve comme symbolique dans la mythologie celtique mais en l’occurrence peut être sur les épisèmes des soldats insulaires de Constantin : un soleil d’or brillant au sommet d’un pal d’argent. Une symbolique similaire se retrouve chez les Germains. On comprend l’entrain des soldats de Constantin à suivre son étendard.
Le nom même du
labarum est discuté. Hatt pense à un terme gaulois,
labar (en gallois lafar) signifiant bruyant, sonore, terrible – un lien avec la roue du tonnerre ? Ou encore avec les pierres hurlantes authentifiant les vrais rois dans les mythes celtes, comme la
Llech Lafr de Galles.
Pour finir sur ce chapitre, je cite l’auteur elle-même qui le conclut parfaitement :
« Le règne de Constantin avait été celui de la barbarisation du pouvoir. Les
deditices servaient dans le
comitatus impérial ; ils étaient intégrés au corps le plus prestigieux de l’armée, ils formaient l’escorte de l’empereur, de leur empereur béni par leur divinité. Un lien personnel très fort unissait ainsi l’auxiliaire à son maître. Pour les barbares, la foi jurée était très importante, et c’est parmi eux que Constantin trouvait ses plus fidèles compagnons. La barbarisation allait se continuer, inéluctablement. Bientôt un autre cycle s’entamera avec d’autres barbares ; mais pour le moment, l’histoire appartenait encore aux
celtikoi. »
Commentaire du chapitre 4 :Je trouve toute l’étude sur la symbolique du labarum très intéressante, mais là encore je manque des connaissances pour pouvoir critiquer les théories exposées sur cette symbolique, et entre autres son lien avec l’Ogam. Quelques notes par ailleurs :
- Végèce mentionne que les citoyens romains préfèrent rejoindre les auxilia plutôt que la légion, ce qui tendrait à prouver qu’ils n’en sont pas exclus, loin s’en faut
- Sur les épisèmes « constantiniens », j’aimerai croire à un signe solaire plutôt qu’à une tête empalée comme on le lit souvent, mais il faut remarquer que certaines unités arborant de tels épisèmes peuvent difficilement être celtiques, portant des noms ethniques germaniques comme les Tervinges. Je reviendrai là-dessus dans l’annexe avec l’identification des « unités bretonnes » dans la
Notitia Dignitatum par l’auteur.
Chapitre 5 – Caracalla, Carausius, Magnence : la barbarisationLes précurseurs de ConstantinMarcus Aurelius Antoninus, dît Caracalla, était haï par presque tous, sauf ses soldats qui l’adulaient, admirant les épreuves qu’il s’imposait malgré sa santé fragile. Cependant certains de ses hommes étaient placés au dessus des autres. Dion Cassius nous dit que sa garde était composée de Scythes et de
Keltoi que Caracalla avait baptisé ses « Lions ». Ces guerriers avaient toute la confiance de l’empereur et étaient traités avec de grands honneurs. Caracalla s’était acquis l’amitié des barbares, traitant avec les Calédoniens et les Germains. En 213, il rendit visite à l’Apollon Grannus de Grand, sans doute aussi pour recruter des hommes parmi les
deditices. Son édit en 212 exclut ces barbares de la citoyenneté romaine pour mieux asseoir leur fidélité. Mal aimé, le barbarophile est assassiné en 217.
Carausius le Ménapien à la fin du IIIe siècle avait été sollicité par Maximien pour chasser les pirates germaniques des eaux nordiques. L’officier conserva le butin récupéré pour lui, et Maximien l’accusa de trahison. Ce fut le début du règne de « l’archipirate » acclamé Auguste en Bretagne en 286. Le silence des sources fait penser que Carausius mit en échec la première expédition navale de Maximien. Constance Chlore s’empara cependant de Boulogne, base continentale de l’usurpateur, en 293, et Carausius fut assassiné par son lieutenant Allectus qui le remplaça – jusqu’à ce que Constance le batte et rétablisse la situation trois ans plus tard.
Carausius avait acquis une partie de son pouvoir de l’alliance barbare. L’adoption du savoir-faire maritime romain mais aussi la montée des eaux avait poussé Saxons, Frisons et Francs à la piraterie, et l’ancien amiral s’était tourné vers eux. Les traditions insulaires laissent penser que de grands changements politiques survinrent en Irlande, poussant certains peuples à la piraterie et même à la colonisation de la Bretagne voisine, comme les
Deisi dans le sud du Pays de Galles. L’embarcation insulaire typique était le coracle (ou
curragh en gaélique), à l’armature de bois couverte de peaux tendues goudronnées, particulièrement adapté aux rivages escarpés des îles britanniques. La flotte romaine pouvait difficilement intercepter ces rapides navires dans les eaux de la mer d’Irlande. Il fallait donc combattre le mal par le mal. Les coracles sont évoqués sur les monnaies d’Allectus : des barbares insulaires furent engagés pour repousser leurs semblables. Le panégyriste de Constance Chlore parle de la défaite d’Allectus, des « cadavres des barbares et ceux qui naguère se donnaient l’apparence de la barbarie par l’accoutrement et la longue chevelure rousse. » Les survivants entrèrent cependant dans l’armée du vainqueur.
Carausius était un Ménapien de Gaule Belgique. Il existait aussi des
Manapioi en Irlande, et la tradition en fait des Belges passés sur l’île verte – souvenir préservé jusqu’au VIIIe siècle. Carausius n’aurait donc eu qu’à exploiter les affinités unissant les deux branches des
Menapii, littéralement « les chevaux de Mann », dieu de la Mer, établis aussi sur les îles de Mona et de Man si l’on se fit à la similarité des noms.
Les celtikoi au pouvoirEn 350 éclate une conspiration dans l’empire, et Magnence, ancien
comes des
Iovani et
Herculiani, se retrouve investi de la pourpre impériale, l’empereur légitime Constant est assassiné. Deux autres usurpateurs se proclament Augustes, l’un d’eux est écrasé par les
Magnentiaci commandés par Marcellinus. En Septembre 351 Constance II livre bataille contre Magnence, et l’emporte à Mursa au prix d’un terrible carnage. L’usurpateur parvient cependant à fuir en Illyrie, et sera vaincu une nouvelle fois en 353. Magnence se suicide.
Zosime nous dit que Magnence était d’extracte barbare, plus précisément lètique. Julien confirme ces dires. Les historiens s’accordent pour dire qu’il était issu d’un père breton et d’une mère franque. Son père, peut être un des soldats de Carausius, aurait il été fait prisonnier après que Constance Chlore ait vaincu les Bataves chez qui il se serait réfugié ? C’est ce que postule ici S. Kerneis. Magnence trouva bien sur de nombreux partisans chez les barbares et en Bretagne. On connaît le nom de certaines unités qu’il avait levé, notamment les
Abulci (d’un radical brittonique
bulc, brèche ou entaille), les
Magnentiaci, les
Decentiaci ; et l’auteur estime qu’il renouvela les effectifs des troupes constantiniennes des
Felices,
Invicti et
Victores, la tradition galloise conservant peut être le souvenir de cette ponction en Bretagne, avec l’armée d’Yrp/Urb (s’agit il d’Arbogast ?) passée sur le continent vers Avena (Amiens ?). Les colonies lètiques auront bien sur contribué à nouveau comme réservoirs d’hommes. Julien parle notamment du soldat celte ou de Gaule (
keltoi et
Galatai) contraints par Magnence à le suivre. S’agît t’il de provinciaux, ou des
deditices levés par l’usurpateur ?
L’usurpation de Magnence constitue l’avènement de la culture lètique – il était lui-même un déditice, revendiquant romanité et barbarité. Elle révèle aussi le danger que représentent les lètes pour l’empire…
Commentaire du chapitre 5 :J’aimerai revenir sur quelques points :
- le fait que Carausius soit un Ménapien ne joua peut être pas tant que ça dans ses relations avec les Irlandais, même si certains avaient en effet une lointaine origine belge. Cela reste une théorie intéressante, mais je pense difficile à prouver. L’utilisation des traditions insulaires médiévales est très problématique et les critiques ne manquent pas d’attaquer de telles hypothèses. Il en va de même pour la levée d’Yrp en Bretagne : écho d’un fait historique ou pure invention ?
- Carausius trouva peut être appui auprès des royautés bretonnes semi-autonomes comme les Dumnonii ou les peuples du Pays de Galles. Incluses dans l’empire, ces
civitates n’étaient que peu romanisées et l’archéologie tend à prouver qu’elles étaient autorisées à se défendre elles-mêmes (refortification de hillforts au IIe siècle) par le pouvoir romain. Le statut de leurs ressortissants est problématique : après l’édit de 212, étaient ils citoyens de l’empire ? La logique le voudrait, mais ils obéissaient toujours à leurs propres lois.
Chapitre 6 – RestaurationsValentinien en GauleContinuant l’œuvre de Julien, Valentinien renforça le
limes. Les barbares sont pourtant présents jusque dans les structures du pouvoir. Valentinien va se retrouver contraint à traiter avec les rois barbares, à établir des alliances que jusqu’à lors seuls les usurpateurs établissaient. Julien, le sauveteur de la Gaule, avait abondamment puisé dans les communautés
deditices pour restaurer l’armée, créant aussi de nouveaux établissements lètes suite à ses victoires sur les Saliens, Quades et Bataves. Il avait contraint les puissants Alamans à se soumettre.
Valentinien recruta lui aussi parmi les
deditices, mais devant le manque d’hommes et au prix d’alliances précaires furent crées des unités issues des Bructères, Bucinobantes et Ampsivarii. L’empereur se trouva finalement contraint en 374 de traiter avec le roi alaman Macrien, après 10 ans de conflits. Les barbares imposaient leurs conditions à l’empire.
Théodose en BretagneSuite à la «
barbarica conspiratio » qu’évoque Ammien en 367, le comte Théodose dît l’ancien fut envoyé en Bretagne avec quatre régiments
comitatenses. Les brigands dévastaient le pays, une partie des troupes avaient déserté, et Valentinus, en exil dans le diocèse, briguait la pourpre impériale. Le
comes per litus saxonicum Nectaridus et le
dux britanniarum Fullofaud avaient tous les deux été tués par les barbares. Après avoir vaincu Scots et Pictes, Théodose renforça les défenses de la Bretagne, édifiant des tours de guet sur la côte du Yorkshire, et consolidant le mur d’Hadrien. Les
Arcani ou
Areani, chargés de la surveillance des barbares mais traîtres à l’empire, furent démantelés. Une nouvelle province est fondée : la
Valentia. Les historiens la situent dans différentes régions de Britannia, dans la région du mur ou celle de l’inter-vallum plus au nord. Le texte d’Ammien Marcellin évoque cependant que la région a été reprise sur des dissidents romains, en l’occurrence Valentin. L’usurpateur aurait très bien pu faire appel aux barbares pour semer le trouble et asseoir son pouvoir. Il avait bien « sollicité exilés et soldats leur promettant […] d’alléchantes récompenses pour les risques qu’ils prendraient. » La trahison des
exploratores se comprend aussi dans un tel contexte. La tradition irlandaise évoque des actes de piraterie sous le règne de Conaire, roi semi-historique, des attaques réussies grâce à la complicité d’un chef breton. La
Valentia était le centre du pouvoir de Valentinus. Théodose en fit une province et réorganisa sa défense : il s’agissait du futur Pays de Galles comme semble le prouver l’établissement ou le renforcement de fortifications sur ses côtes à l’époque.
Vers 360 est édifié un temple à l’embouchure de la Severn, un temple dédié à Nodent ou Nodons, dieu guérisseur, le Nuada des Irlandais et le Llud des Gallois. Une inscription mentionne non loin ITILAVIVS SENILIS PR(aefectus) REL(iquationis), c’est un indice sur la présence de
gentiles. On a aussi retrouvé une dédicace à Nodent faîte par un certain « Pectillus », littéralement « petit picte » : sans doute un membre d’une communauté de
gentiles.
Les traditions insulaires mentionnent l’établissement au IVe ou Ve siècle de nombreux irlandais et de la migration de Bretons du Nord vers le Pays de Galles. Ces derniers étaient des Votadini, ou plutôt des Manau Guotodin, Cunedda et ses fils. La venue des hommes du nord est discutée, et S. Kerneis penche pour une date aux alentours de 370 en calculant d’après les annales galloises et irlandaises. La tradition oppose ces « blancs » établis en Venedotia, en Gwynedd, et les « Gaels rouges d’Iwerddon », chassés par les Votadini selon l’Historia Brittonum.
La dynastie de Vortipor, roi du Dyfed au VIe siècle, était d’origine irlandaise, issue des Deisi ou Ui Liathain, l’une de ses places fortes portant le nom de Moniu Dae(s)orum, « Myniu des Deisi ». D’autres Ui Liathain se seraient réfugiés après leur expulsion par le clan de Cunedda en Cornouailles, ou l’on retrouve une forteresse du nom de Din Map Liathain, littéralement « la forteresse des fils de Liathain », et S. Kerneis pense que ce sont eux qui rebaptisèrent cette partie du territoire des
Dumnonii du nom de Kernyw, analogue au Carnew de la côte irlandaise.
La migration des Deisi ou Ui Liathain vers le Dyfed (la civitas des
Demetae) aurait été favorisée par Valentinus.
Les généalogies galloises médiévales et l’épigraphie du VIe siècle montre la « romanisation » de ces dynasties barbares insulaires. Les ancêtres de Vortipor de Dyfed (dont l’épitaphe est MEMORIA VOTEPORIGIS PROTICTORIS soit « à la mémoire de Voteporix Protector ») sont donnés comme étant Owain Tryffin, « Eugenius tribunus », et Aircol/Agricola). De la même façon, les membres du clan de Cuneda portent des noms d’origine latine : Eniaun/Anianus, Aetern/Aeternus, Patern/Paternus « Pesrut » (manteau rouge) et Tacit/Tacitus. Si l’on accorde du crédit aux généalogies, alors la famille de Cuneda était romanisée dès la campagne de Constance Chlore en Bretagne. Ces Manau Guotodin seraient les
Areani, en langue celtique « ceux de l’est », chargés anciennement de la surveillance des tribus nordiques.
Les noms des cantons gallois au XIIIe siècle évoquent les noms des tribus établis là, comme le Lleyn celui des Laigini du Leinster irlandais, d’autres ceux des fils légendaires de Cuneda.
Ces nouvelles communautés, Pictes et Irlandaises, Théodose les met à profit pour assurer la défense du Pays de Galles, de la
Valentia, étant à l’origine du déplacement du clan de Cuneda, mais comme viviers de recrutement en tant que
deditices.
Végèce mentionne les navires de patrouille que les Bretons nomment
Picatos ou
Pictae, parce que peints en bleu – camouflage mais peut être aussi peintures rituelles comme celles qu’arboraient les guerriers bretons à l’époque de la conquête. Le rôle de ces navires, c’est le superventus, l’assaut par surprise, pour surprendre les pirates. Picatus c’est aussi le verbe pico, enduire de poix, peut être référence aux coracles poisseux des insulaires.
Les hommes du numerius barcariorum près de Lancaster adoraient un Mars irlandais, encore Nodons. Théodose et Rome avaient donc confié la défense des côtes bretonnes à des barbares. Il était cependant à double tranchant et fut en partie à l’origine des usurpations de Maxime et Constantin III.
Commentaire du chapitre 6 :La démonstration sur la création de la Valentia suite à l’intervention de la Théodose et un Valentinus à l’origine de la
barbarica conspiratio est tout à fait intéressante. L’utilisation des traditions insulaires certes couchées par écrit seulement au moyen âge est un pari risqué, et S. Kerneis l’indique d’ailleurs sans ambages. Les généalogies comportent des indications intéressantes, même si les plus critiques des universitaires ne manquent pas de les rejeter en bloc, arguant qu’il est trop dur de trier le vrai du faux. Toujours est il que l’alliance entre la communauté gaélique du sud du Pays de Galles, à l’origine de la dynastie de Vortipor, et Rome est reconnue par la plupart, le titre de
Protector sur l’épitaphe de Vortipor étant une indication difficilement rejetable.
Quant à l’implantation de Cuneda et de ses fils (dont S. Kerneis indique qu’il s’agit sans doute du nom d’un clan et nom de celui du meneur qui serait Aetern) certains auteurs comme le très critique David Dumville ou encore Kenneth Dark dans
Britain and the End of the Roman Empire la considèrent comme un mythe de migration crée au IXe siècle pour asseoir la légitimité de la dynastie du Gwynedd d’alors, d’origine nordique. Difficile de trancher.
L’importance des royaumes purement bretons des franges occidentales de l’île est peut être quelque peu négligée. Si leur statut est problématique (de culture, langue, traditions et lois celtiques), ils ont très bien pu jouer un rôle important dans la situation politique de l’époque et ultérieurement.
Chapitre 7 – Les Bretons au service des usurpateursMaximeMaximus Magnus,
dux ou
comes britanniarum est proclamé empereur par ses soldats en 383. L’usurpateur deviendra un héros pan-brittonique, et on le retrouve placé en tête de plusieurs généalogies galloises. La tradition fera de lui le mari d’Helen Lluydawc, « aux armées », fille d’Eudaf l’ancien et sœur de Cynan Meyriadawc. Aux Bretons de Maxime, Théodose empereur d’Orient opposera les fédérés Wisigoths. Gildas au VIe siècle déplore que l’usurpateur ait vidé la Bretagne de ses forces, de sa jeunesse. Un recrutement massif : peut être jusqu’à 18 unités. Pour s’assurer les bonnes grâces des communautés
deditices de Bretagne, il les promet au statut de fédérés. Théodose aurait pardonné aux soldats de Maxime après avoir vaincu ce dernier en 388, pourtant certaines des troupes se retrouvent stationnées bien loin de la Bretagne, et Gildas nous dit bien qu’elles ne revirent jamais la grande île. S’il l’on en croît l’
Historia Brittonum, Maxime établit ses hommes du Mons Iovis jusqu’à Cantguic et Cruc Ochidient. Léon Fleuriot identifiait ces trois lieux respectivement au Jura, à Quentovic (Etaples) et au Menez Hom en petite Bretagne. La toponymie conserverait en ces endroits des traces des Bretons, par exemple le
pagus Daudour, « les hommes du deuxième », Tregor/*Tre(d)gur, « les hommes du troisième », renvoyant peut être aux
Secundii et
Tertii Theodosiani, unités de Maxime rebaptisées par Théodose. Le
pagus Cingallensis, le Cinglais en Bessin renvoierait aux Seguntienses ou Seint-Gwyddel de Caernarvon.
L’hostilité des Francs aurait empêché Maxime de puiser dans leurs communautés létiques. Il aurait donc implanté ses propres zones de recrutement, en Gaule, renforçant qui plus est le Tractus Armoricanus. Théodose se garda évidemment de renvoyer ces communautés vers la Bretagne.
Constantin IIIEn 407, un autre usurpateur part de Bretagne. Il contribuera cependant à repousser les attaques germaniques sur la Gaule, mais peu à peu Constantin perd ses soutiens. Son général Gerontius se retourne contre lui en Espagne, tue son fils Constant et proclame son propre fils Maxime Auguste. Honorius envoie Constantius qui se débarrasse de Gerontius et de Constantin. En 411, les têtes des empereurs bretons sont exposées à Constantinople…
A deux reprises, Constantin avait eu deux
magistri militum : un franc et un breton, pour pouvoir compter sur les deux communautés. Il aurait entre autre crée l’unité des Honoriaci Atecotti qui garderont les passes pyrénéennes avec Gerontius. En 410, on connaît les faits d’armes du breton Iomadus qui prend Blois aux Germains.
L’usurpateur a été vaincu seulement grâce à d’autres barbares. Jovin peu après connaîtra un destin semblable.
« C’étaient donc des barbares qui avaient été les instigateurs de la nouvelle usurpation, et ce n’était que grâce à l’appui d’autres barbares que l’Empire avait été sauvé. La
Romania n’était plus qu’un mirage. Comme pour précipiter la fin de l’Empire, le temps semblait s’accélérer, en cette période charnière du Ve siècle. Deux décennies s’étaient à peine écoulées ; déjà deux généraux avaient pris la pourpre, en Bretagne. Il leur avait suffi de puiser dans la
Valentia de Théodose. Les bateaux allaient et venaient, débarquant la jeunesse celtique en Gaule. Maintenant, les barbares étaient chez eux un peu partout dans les zones névralgiques de l’Occident. Une époque s’était achevée ; une autre s’apprêtait à commencer. »
Commentaire du chapitre 7 :C’est une certitude que les deux usurpateurs connurent un grand prestige en Bretagne, chez les roitelets du haut moyen âge, comme fondateurs de leurs dynasties. Soazick Kerneis propose ici une explication valable à l’implantation massive des Bretons sur le continent à la fin du IVe siècle. On peut par contre se poser des questions quant à l’identification des zones de recrutement en Gaule. Le sujet est détaillé dans les annexes.
EpilogueSi l’on place généralement les « grandes invasions » au Ve siècle, l’installation des barbares à l’intérieur de l’empire se fit dès le IIe siècle, d’abord comme deditices, prisonniers de guerre, puis au bas empire comme foederati. Il n’y eu en fait pas de véritables invasions, « mieux vaut parler d’amplification d’un processus historique jusqu’au point où il s’inverse. Alors commence le Moyen Age. »
L’Empire donnera à ses barbares des
leges datae pour qu’ils s’incorporent à sa structure. Il s’agît vers 350 des prémices de la loi salique pour les Francs, et en 445 de l’ancienne lois des Bretons d’Armorique, rompant avec l’exclusion juridique des deditices.
La tradition brittonique, à travers l’épopée de Maxime ou plutôt Macsen Wledig montre bien que pour les Bretons « toute légitimité politique ne peut venir que de Rome. »
ANNEXES1 - Tableau : Les unités de Bretons en Germanie supérieure
2 - Tableau : Les unités d'éclaireurs en Germanie supérieure
3 - Carte : Les forts et les troupes de Germanie supérieure
4 - Les cités déditices de Germanie supérieure
5 - Carte : Les cités de Germanie supérieure au IIe siècle
6 - Schéma : Espace castral romain
7 - Carte : Les
praetenturae de Germanie supérieure
8 - La Bretagne au IIe siècle
10 - Carte : Les tribus du Pays de Galles
11 - Ethnonymes calédoniens
12 - Les peuples de Calédonie
13 - L'espace cultuel de Grand
14 - Carte : Les orientations de Grand
15 - Schéma : La justice de l'Apollon de Grand
16 - Photo : La mosaïque de la basilique de Grand
17 - La main gauche d'Apollon
18 - Tableau : Les
pagi déditices de Germanie supérieure en Belgique première
19 - Schéma :
Labarum,
ogam et culte solaire
20 - Photos : Pierres écrites
21 - Tableau : Les peuples à l'Est de l'Irlande
22 - Carte : Les
Menapii d'Irlande
23 - Planche : Les écus bretons de la
Notitia Dignitatum24 - Carte : La Bretagne militaire au IVe siècle
25 - Carte : Les trois armées de Bretagne
26 - Tableau :
Numeri bretons dans la
Notitia Dignitatum27 - Tableau : Levées et départs d'unités auxiliaires en Bretagne
28 -
Cantrev,
cymwd et
gwlad du Pays de Galles
29 - Carte : Les
gwlad de
Valentia à la fin du IVe siècle
30 - Tableau : Les
gwlad de
Valentia à la fin du IVe siècle
31 - Les établissements barbares de
Valentia à la fin du IVe siècle
32 - Tableau : Les établissements bretons en Gaule à la fin du IVe siècle et les
pagi minores médiévaux
33 - Carte : Les établissements bretons et préfectures létiques en Gaule à la fin du IVe siècle
Détaillons maintenant une partie de ces annexes, en l'occurrence 23, 26, 27, 32 et 33 concernant les unités "bretonnes" et leurs zones de recrutement en Gaule au Bas Empire.
ANNEXES - LES UNITES BRETONNES DANS L'ARMEE DU BAS EMPIRESoazick Kerneis semble omettre sciemment des unités telles que la
Secunda Britannica ou les
Britones seniores pourtant aux noms ethniques évidents, probablement parce que ce sont des unités à recrutement qu'elle considère "citoyen" et non barbare comme les
auxilia palatina et certains corps de
limitanei.
Sont ici également considérés comme bretonnes les unités issues des communautés déditices britanno-germaniques déplacées des Champs Décumates vers la Belgique Première.
AUXILIA PALATINACeltae seniores et
Celtae iunioresUnités crées par Caracalla, servant en Gaule puis en Afrique pour les
iuniores.
Troupes "celtiques" repliées de Germanie supérieure.
Leones seniores et
Leones iunioresUnités crées par Caracalla, servant en Gaule puis palatins pour les iuniores.
Repliées aussi des champs décumates, nommées ainsi par Caracalla selon Dion Cassius.
Felices senioresUnité peut-être bretonne crée par Constantin, service en Gaule puis en Espagne.
Bretons si l'on se réfère à leur épisème, emblème de la maison constantinienne.
Felices iunioresUnité peut-être bretonne crée par Constantin, service en Gaule puis palatins.
Bretons si l'on se réfère à leur épisème, emblème de la maison constantinienne.
Invictii seniores augusteiUnité crée par Constantin, service en Gaule puis en Espagne.
Bretons si l'on se réfère à leur épisème, emblème de la maison constantinienne, leur nom se référent aussi au soleil invaincu.
Invicti iunioresUnité crée par Constantin, service en Gaule puis en Illyrie.
Bretons si l'on se réfère à leur épisème, emblème de la maison constantinienne, leur nom se référent aussi au soleil invaincu.
Invicti iuniores BritannicianiUnité crée par Constantin, service en Bretagne puis en Espagne.
Bretons si l'on se réfère à leur épisème, emblème de la maison constantinienne, leur nom se référent aussi au soleil invaincu. Ceux ci furent recrutés en Bretagne.
Victores (seniores)Unité crée par Constantin, service en Orient puis au palais oriental.
Victores iunioresUnité crée par Constantin, service en Gaule puis en Espagne.
Victores iuniores BritannicianiUnité crée par Constantin, service en Bretagne.
Leur nom fait référence à leur levée en Bretagne.
Exculcatores senioresUnité crée par Constantin, service en Orient puis au palais occidental.
Exculcatores iunioresUnité crée par Constantin, service en Gaule puis en Espagne.
Exculcatores iuniores BritannicianiUnité crée par Constantin, service en Bretagne puis en Gaule.
Leur nom fait référence à leur levée en Bretagne.
Defensores (seniores)Unité peut-être crée par Constantin, service en Bretagne puis au palais oriental.
Constanciani (seniores?)Unité peut-être bretonne crée par Magnence, service en Gaule puis au palais oriental.
Vraisemblablement les
Magnentiaci ou
Decentiaci de Magnence, renommés suite à leur brillante conduite à Amida.
Constanciani (iuniores?)Unité peut-être bretonne crée par Magnence, service en Gaule puis au palais oriental.
Vraisemblablement les
Magnentiaci ou
Decentiaci de Magnence, renommés suite à leur brillante conduite à Amida.
Le bleu et les corbeaux de leur épisème pourrait faire référence à leur origine insulaire.
Felices Valentinani senioresUnité peut-être bretonne crée par Valentinien, service en Illyrie.
Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne.
(Felices) Valentinani iunioresUnité peut-être bretonne crée par Valentinien, service en Gaule.
Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne.
(Felices) Gratianenses senioresUnité peut-être bretonne crée par Valentinien, service en Gaule.
Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne.
(Felices) Gratianenses iunioresUnité peut-être bretonne crée par Valentinien, service en Gaule puis au palais occidental.
Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne.
Atecotti (seniores)Unité crée par Valentinien, service en Illyrie. Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne.
Nom explicitement celtique. Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne.
Atecotti iuniores GallicaniUnité crée par Valentinien, service en Gaule. Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne.
Nom explicitement celtique. Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne.
Sagittari Nervii (seniores)Unité peut-être crée par Valentinien, service en Gaule.
Non-citoyens puisque
auxilia,
pagi de noms bretons dans les environs donc potentiellement bretons.
Sagittari Nervii (iuniores)Unité peut-être crée par Valentinien, service en Gaule puis en Espagne.
Non-citoyens puisque
auxilia,
pagi de noms bretons dans les environs donc potentiellement bretons.
Sagittarii Tungri (seniores)Unité peut-être crée par Valentinien, service en Gaule puis en Illyrie.
Non-citoyens puisque
auxilia,
pagi de noms bretons dans les environs donc potentiellement bretons.
(Sagittarii) Tungri (iuniores)Unité peut-être crée par Valentinien, service en Gaule puis en Illyrie.
Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne.
Non-citoyens puisque
auxilia,
pagi de noms bretons dans les environs donc potentiellement bretons.
(Sagittarii ?) RaetiUnité peut-être bretonne peut-être crée par Valentinien, service en Gaule puis en Illyrie.
Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne.
(Sagittarii ?) SequaniUnité peut-être crée par Valentinien, service en Gaule puis en Illyrie.
Recrutés suite à l'expédition du comte Théodose en Bretagne. Le duc de Séquanaise commande à des
Latavienses, que S. Kerneis identifie à des hommes du
pagus des
Letaui.
Felices Theodosiani senioresUnité peut-être bretonne crée par Maxime, service en Gaule puis au palais oriental.
Renommés par Théodose.
Felices Theodosiani iunioresUnité peut-être bretonne crée par Maxime, service en Gaule puis en Illyrie.
Renommés par Théodose.
Primi TheodosianiUnité peut-être bretonne crée par Maxime, service en Gaule puis au palais oriental.
Renommés par Théodose. Les figures païennes furent christianisés par l'ange qu'imposa ce dernier sur leur épisème.
Leur
pagus serait le pou Acm, "la souche".
Secundi TheodosianiUnité peut-être bretonne crée par Maxime, service en Gaule puis en Illyrie.
Renommés par Théodose. Les figures païennes furent christianisés par l'ange qu'imposa ce dernier sur leur épisème.
Leur
pagus serait le Daoudour breton, "les hommes de la deuxième".
Tertii TheodosianiUnité peut-être bretonne crée par Maxime, service en Gaule puis au palais oriental.
Renommés par Théodose. Les figures païennes furent christianisés par l'ange qu'imposa ce dernier sur leur épisème.
Leur
pagus serait le Trégor breton, de
Tre-gour, "les hommes de la troisième".
Quartii TheodosianiUnité peut-être bretonne crée par Maxime, service en Gaule puis au palais oriental.
Renommés par Théodose.
Leur
pagus serait Penthièvre, ou Penteur, "les hommes de la quatrième".
Sagittari Venatores LatiniUnité peut-être crée par Maxime, service en Gaule puis puis en Illyrie.
Il s'agirait de
Liathain irlandais du sud-Galles, les Bretons de cette région étaient des archers réputés au moyen âge.
Leur
pagus serait le Léon breton, dérivé de Leonensis.
(Sagittarii ?) Sab(r)iniUnité peut-être crée par Maxime, service en Gaule puis au palais occidental.
Corruption de Sabrini, en référence à la Sabrina ou Severn.
(Galli ?) SeguntiensesUnité crée par Maxime, service en Gaule puis en Illyrie.
"Ceux de Seguntium".
Leur
pagus serait Cingal, de Cingallensis, "les Gaéls de Seint."
Galli VictoresUnité peut-être crée par Maxime, service en Gaule puis au palais occidental.
Des Gaulois sont impossibles à cette époque, il s'agirait donc de Gaéls, leur nom renvoyant à Victor, fils de Maxime.
Felices Honoriani senioresUnité peut-être bretonne crée par Honorius, service au palais occidental puis en Orient.
En référence à leur épisème blanc. Etablis en Gaule suite à Maxime et Théodose, puis levés par Honorius ?
Felices (Honoriani) iunioresUnité peut-être bretonne crée par Honorius, service en Gaule.
Felices Arcadiani iunioresUnité peut-être bretonne crée par Honorius, service en Orient.
Felices Arcadiani senioresUnité peut-être bretonne crée par Honorius, service en Orient.
Victores Honoriani senioresUnité peut-être bretonne crée par Honorius, service en Gaule puis au palais occidental
Atecotti Honoriani senioresUnité crée par Honorius, service en Gaule.
Nom ethnique évident.
Atecotti Honoriani iunioresUnité crée par Honorius, service au palais occidental.
Nom ethnique évident.
LIMITANEISuperventores (Axiupolis)Unité peut-être crée par Constantin, service en Gaule puis Scythie.
Troupes de Magnence déplacées en Orient.
Superventores iuniores ConstancianiUnité peut être crée par Constantin, service en Gaule.
Superventores (Mannatias)Unité peut-être crée par Constantin, service en Gaule.
Troupe du
tractus armoricanus, au Menez Hom ou Nantes.
Superventores PetuariensesUnité peut-être crée par Constantin, service en Bretagne.
Troupe stationnée à Petuaria sur la
civitas des
Parisii de Grande-Bretagne.
PraeventoresUnité peut-être bretonne crée par Magnence, service en Gaule puis Mésie.
AbulciUnité crée par Magnence, service en Gaule.
Nom brittonique, dérivé de *bulc, brèche, entaille.
AnderetianiUnité crée par Magnence, service en Gaule.
Troupe provenant d'Anderita (Pevensey) en Bretagne, fort du
Litus saxonicum. Service comme marins sur la Seine notamment, mais aussi près de Mayence.
Defensores senioresUnité peut-être bretonne peut-être crée par Constantin, service en Gaule.
Defensores iunioresUnité peut-être bretonne peut-être crée par Constantin, service en Gaule.
Defensores BraboniacoUnité peut-être bretonne peut-être crée par Constantin, service en Bretagne.
Troisième levée des
Defensores restée en Bretagne.
AcincensesUnité peut-être bretonne peut-être crée par Constantin, service en Gaule puis Illyrie.
Vigiles ConcagiosUnité peut-être crée par Constantin, service en Bretagne.
Leur nom fait il référence au fort où ils étaient stationnés ?
Directores UerterisUnité bretonne, service en Bretagne.
Eclaireurs, en principe provenant de la région.
Exploratores LavatresUnité bretonne, service en Bretagne.
Eclaireurs, en principe provenant de la région.
Exploratores Portu AdurniUnité bretonne, service en Bretagne.
Eclaireurs, en principe provenant de la région.
LataviensesUnité bretonne, service en Gaule.
Unité de
Liathain irlandais. Fleuriot les pensait d'origine illyrienne.
Commentaire des annexesJ'ai donc détaillé une partie des annexes, portant principalement sur les identifications des unités "bretonnes" de la
Notitia Dignitatum. Certaines de ces identifications ne permettent pas ou peu de doute, d'autres sont intéressantes mais beaucoup sont très hypothétiques, d'ailleurs l'auteur l'admet.
Beaucoup de raisonnement par analogie, sur les "levées" de ces troupes par les différents empereurs, sur les épisèmes (le bleu pour les Calédoniens que l'on retrouve certes sur un certain nombre de leurs boucliers, le blanc pour les
Votadini de Cuneda, le signe de la maison constantinienne), sur les noms.
Le gros point noir est je pense la tendance à vouloir systématiquement identifier les
auxilia comme composées de non-citoyens. Il me semble que Végèce mentionne d'ailleurs la tendance des citoyens à s'enrôler dans l'auxilia plutôt que dans la légion. D'office cela élimine une partie des identifications.
Les rapprochements linguistiques sont un peu saugrenus, comme pour les Liathain irlandais. N'étant cependant pas spécialiste, j'aimerai avoir l'avis d'un linguiste entre autres concernant les
pagi des unités bretonnes sur le continent.
L'explication du nom de
Letavia et du Léon par une déformation du nom des Liathain me paraît hasardeuse. Pour le Léon, on a notion d'un
pagus Legionensis dans les textes médiévaux, et on peut le rapprocher de la ville de Caerleon au Pays de Galles, à l'origine
Urbs Legionis. Qui plus est, pourquoi des Liathain irlandais auraient majoritairement parlé le brittonique alors qu'ils étaient censés être gaélophones ?
CONCLUSION DE LA FICHE DE LECTURELa thèse de Soazick Kerneis ouvre des pistes intéressantes pour l'étude des origines bretonnes et du rôle des Bretons au bas empire. Elle comporte aussi de nombreuses lacunes, il ne faut cependant pas oublier qu'elle fut rédigée en 1991 et que les connaissances sur le sujet ont évolué depuis. Le terme même de "Celtiques" est difficilement applicable et pour les communautés germaniques lètiques - même si un fort élément d'origine bretonne n'est pas à exclure comme le prouve ce travail - et pour les Bretons au service de Rome au Bas Empire. L'appui qu'ont pu trouvé les prétendants à la pourpre chez les barbares insulaires n'est pas négligeable. On montre souvent Carausius pactiser avec les Francs, il est logique qu'il se soit trouvé des alliés chez les Irlandais et Pictes. Le renfort de la côte ouest de la Bretagne et en particulier du Pays de Galles par le comte Théodose est bien prouvé, la possibilité que la nouvelle province de
Valentia soit cette région est envisageable, et il est possible que Théodose ait affirmé certaines dynasties locales ou allogènes récemment implantés pour se préoccuper de la défense de ce territoire. Nous savons par Gildas que Maxime - et certainement Constantin III - puisa abondamment chez les populations bretonnes occidentales, restées guerrières, et qu'il sera le "fondateur" de certaines lignées, en confirmant leur implantation ou en se les attachant (cf le titre de
Protector de Vorteporix de Dyfed au VIe siècle), et que la région était largement peuplée de Gaéls à l'époque. De nombreux insulaires se retrouvèrent ainsi installés sur le continent, et la toponymie nous livre les traces de leurs établissements.
Le but de S. Kerneis dans son ouvrage était probablement de réhabiliter le rôle que jouèrent les Bretons dans l'armée romaine. Ce faisant elle pêche par excès, adoptant parfois un point de vue beaucoup trop britto-centriste. Certaines hypothèses sont mal étayées, même si elle n'oublie pas de préciser leur fragilité comme quand elle se réfèrent aux généalogies galloises médiévales. Mais globalement, son travail ouvre des perspectives très intéressantes.
Ce sera tout pour cette fiche de lecture, j'espère ne pas avoir trop travesti les propos de l'auteur en résumant certaines idées et en ne développant pas tout. Pour ceux qui le souhaitent je peux reprendre certains points précis.
Cette synthèse servira de base à d'autres travaux que j'ai en projet, notamment sur les unités bretonnes identifiables dans la
Notitia Dignitatum.
Benjamin Franckaert