Il existe aujourd'hui trois traditions de
luttes celtiques reconnues en Europe : le "
Back-Hold" (lutte écossaise), le "
Cornish Whresling" (la lutte cornique -dans le Corwall) puis le "
Gouren" (la lutte bretonne, surtout pratiquée dans le Finistère).
De ces trois traditions, ce sont les deux dernières qui vont nous intéresser dans cet article. Et pour cause : la lutte cornique et la lutte bretonne ont la même origine...!
Si nous remontons à l'Antiquité tardive, période où les populations bretonnes émigrent en masse en Armorique sur plusieurs siècles, il n'est pas étonnant que certaines traditions se soient ancrées dans notre "Brittania Minor". Si la langue brittonique, ainsi que la tradition littéraire bardique suit le flux incessant d'émigrants sur le "nouveau monde", appelé désormais Létavie (ou Letau, Lledaw en gallois), certains éléments de la culture brittonique sont encore visibles aujourd'hui en Basse-Bretagne, notamment dans le Finistère et les Côtes d'Armor. Je parle ici du "
Gouren", autrement dit la lutte bretonne qui remonte aux origines de la Bretagne.
La lutte est certainement un des éléments les plus communs aux civilisations qui se sont établies sur tous les continents. Contrairement à la gladiature romaine qui implique une opposition "dissymétrique" entre deux hommes, la lutte est avant tout un affrontement au corps à corps, d'égal à égal. On retrouve ce principe dans la lutte gréco-romaine, ainsi que le pugilat, dont nous avons de nombreuses sources iconographiques.
Hélas, nous n'avons que peu de sources contemporaines à la période britto-romaine concernant la lutte. Les seules éléments qui nous permettent d'étudier la tradition de lutte brittonique sont des comparaisons de techniques, de vêtements ou accessoires décrits ou représentés sur des enluminures et bas reliefs du Moyen-Âge (les "miséricordes" des chapelles anglaises par exemple). Autre élément important : les corniques et les bretons actuels pratiquent toujours la même lutte (avec des variantes ayant évolué au cours des siècles).
N'oublions pas que les corniques, les gallois et les bretons sont les derniers descendants de la civilisation brittonique Voici quelques clichés actuels (Cornish Wreslting puis Gouren)
Vous pouvez constater que les lutteurs corniques ou bretons portent des chemises ("roched" en breton), et le principe consiste à mettre son adversaire sur les
épaules, ou à défaut sur le dos. C'est donc une tradition où les hommes luttent
vêtus, et s'attrapent par le col, la ceinture ou encore les manche de la chemise. Les pieds servent à faucher, bloquer, barrer ou déséquilibrer l'adversaire. On lutte
debout et le combat au sol est interdit. Il existe de nombreuses enluminures médiévales montrant des lutteurs habillés en braies et chemises (XIII°, XIV°, XV° siècles, et plus tardivement encore sur certaines gravures). On peut aisément imaginer que cette technique de lutte se faisait en braies et que les lutteurs britto-romains portaient de solides camisae doublées (sinon "crack...").
L'étymologie du mot breton
Gouren, actuellement utilisé pour désigner la lutte bretonne, nous donne quelques pistes en langues brittoniques. Si l'on remonte au Moyen breton (à défaut de trouver le mot en vieux breton, voir en brittonique tardif), le verbe "
lutter" se dit "
gouren". Son équivalant en cornique était "
gwrynva" et en vieux gallois "
gwrthryn". Le verbe breton "
gourren "(avec 2 "r") au XV° siècle était aussi "
soulever" (image intéressante, puisque l'on doit soulever l'adversaire du sol). d'autre part, le mot "
gour", ou "
gwr", en brittonique signifie "
homme". Le mot breton "
gourron" (qui est aussi un nom de famille) et le mot gallois "
gwron" désignent un héros ou un homme intrépide.
Tout comme la lutte grecque fut souvent pratiquée comme symbole en temps de paix, il semble que cette tradition de combat d'homme à homme soit restée ancrée comme un élément culturel fort dans chaque civilisation.
La société clanique galloise au Moyen Âge avait élaboré 24 règles bien précises dans l'éducation des jeunes nobles. Parmi ces règles se trouvaient des épreuves intellectuelles mais aussi guerrières : il fallait aussi bien savoir se servir de la harpe (ou de la lyre) que de l'épée ("
cleddyv"). Mais la 16ième consigne implique la connaissance de la lutte ("
ymavael"). Ces préceptes furent établis, selon les gallois, depuis l'époque romaine.
L'élément culturel, plus que martial, me semble être un élément fort. Surtout dans le cas où la lutte est pratiquée en temps de paix. on sait que les ducs de Bretagne se déplaçaient souvent avec les meilleurs lutteurs du duché. On sait aussi, plus tardivement que les conflits entre paroisses bretonnes (qui faisaient parfois des morts...) se réglaient souvent à l'amiable grâce à la lutte bretonne où les champions se mesuraient d'égal à égal.
Il me semble probable que les bretons du V° siècles aient utilisé cette lutte pour former les hommes à la guerre, mais aussi pour régler des conflits en temps de paix, surtout au sein des petits royaumes et principautés qui se formèrent avec l'accord de Rome, ou après son effondrement.