Faute d'avoir pu récupérer la synthèse que j'avais faîte sur l'ancien forum, je copie-colle un message provenant du forum des GMA en Décembre 2007.
Avant d'aborder la question de l'existence d'un Arthur historique il est intéressant de connaître un peu le contexte de la Bretagne insulaire vers l'an 500.
Contexte historique et considérations générales
La crise économique et politique de la fin de l'empire romain d'Occident affecte la Britannia comme les autres diocèses. Deux généraux romains commandant les légions stationnées dans l'île passeront sur le continent dans le but de s'emparer du pouvoir. Il s'agit de Magnus Maximus en 383 et de Constantin III en 408. La Bretagne (j'utilise ce terme qui à l'époque désigne donc la Bretagne insulaire ou Grande-Bretagne) se retrouve donc vidée de ses troupes, en proie aux incursions des Irlandais, Pictes et pirates germaniques. Les aristocrates, les magistrats des cités vont prendre le pouvoir. Il n'y a ainsi pas de rupture nette avec la civilisation romaine, mais bel et bien une continuité contrairement à ce que l'on peut souvent lire. L'économie a pris un coup, si certaines villes sont abandonnées aux profits de hillforts refuges, dans d'autres la vie continue. Le commerce se maintient avec la Méditerrannée et Byzance.
Comme ailleurs dans l'empire mauribond, les nouveaux dirigeants s'entourent de forces privées, vétérans des légions ou barbares, ce sont les bucellarii. C'est ainsi que les Bretons vont installer des foederati germaniques dans l'est de l'île. Certains de ces fédérés vont utiliser la situation à leur propre avantage et prendre le pouvoir, invitant d'autres Germains à les rejoindre, constituant l'ébauche des premiers royaumes 'anglo-saxons' comme le Kent ou l'East Anglia.
Des guerres civiles vont diviser les Bretons, c'est dans ce contexte que l'on replace les personnages de Vortigern et d'Ambrosius Aurelianus, nettement mieux attestés que celui d'Arthur. Ces hommes étaient au demeurant plus proches des aristocrates de l'empire romain tardif que de rois 'celtiques'. Il est vrai que ce que l'on peut appeler la 'civilisation brittonique' comprend un héritage celtique (lois, langue, etc.) non négligeable, mais les Bretons se revendiquent avant tout comme Romains et Chrétiens face aux barbares.
Vers la fin du Ve siècle, alors que les Francs s'imposent en Gaule du Nord, la guerre contre les Saxons fait rage en Bretagne insulaire. Nous avons le témoignage quasi-contemporain de St Gildas, qui parle d'Ambrosius Aurelianus comme le meneur des Bretons dans cette guerre contre les barbares, une guerre qui se termine par la victoire du Mont Badon, Gildas disant être né l'année de cette bataille, écrivant 44 ans après. Il ne mentionne pas le nom du chef des Bretons à Badon, même si certains pensent qu'il s'agit d'Ambrosius Aurelianus en personne.
Ambrosius (peut être le même homme qu'un certain Riothamus, qui ira à la rescousse des Romains sur le continent en 469) est cependant devenu dans le mythe arthurien Emrys Wledig, ou Emrys Myrddin. C'est donc l'un des avatars de Merlin, dans la célèbre prophétie des dragons faîte à Vortigern. C'est aussi chez Geoffroy de Monmouth (XIIe siècle) le grand roi des Bretons, et le frère d'Uther Pendragon, donc l'oncle d'Arthur. On voit que l'un des personnages du mythe arthurien a bel et bien une base historique solide.
Il en va de même pour certains des roitelets bretons du VIe siècle. Ces rois, portant des noms brittoniques, ou latins 'brittonisés' sont issus de l'aristocratie britto-romaine qui avait récupéré le pouvoir au début du Ve siècle. On en citera quelques uns : Maelgwn du Gwynedd (peut être le prototype de Méléagant), sévérement vilipendé par St Gildas dans le De Excidio Brittaniae, Marc Conomor et son fils Drustanus (Tristan) dans le sud-ouest de l'île, Urien de Rheged et son fils Owein (Yvain), ou encore Peredur d'Ebrauc (Perceval). Les règnes de ces rois, célébrés dans la tradition orale brittonique du haut moyen âge, se sont vus amalgamés autour du personnage central d'Arthur.
Aux sources de l'Arthur historique
La première mention du nom d'Arthur date du IXe siècle, dans l'Historia Brittonum attribuée au moine Nennius. Arthur est dit avoir combattu les Saxons dans 12 grandes batailles, où il était le dux bellorum ('chef de guerre') avec les rois des Bretons, la dernière et plus importante étant la victoire de Badon. Toujours dans l'HB, dans les 'Merveilles de l'Ile de Bretagne', deux endroits sont associés à Arthur, la tombe de son fils Llachau et le Cairn Cabal, ou son chien aurait imprimé son empreinte lors de la chasse au sanglier monstrueux, le Trwch. Ainsi à l'époque, Arthur est déjà considéré comme un personnage légendaire, même si on lui prête une historicité indubitable.
Au Xe siècle, dans les Annales Cambriae Arthur est associé à deux dates, la victoire de Badon contre les Saxons, et sa mort et celle de Medraut à Camlann, respectivement en 516 et 536 selon les interprétations les plus courantes, ce qui pose d'ailleurs un problème puisque Badon n'a put avoir lieu qu'à la fin du Ve siècle.
La tradition orale galloise, difficilement datable, mentionne bien entendu Arthur dans différents poèmes. Le plus ancien d'entre eux serait Y Gododdin, attribué au barde Aneirin, qui raconte la mort héroïque de 300 guerriers bretons du Nord contre les Angles de Bernicie, à Catraeth, vers 600. Un des guerriers bretons y est comparé à Arthur, sans plus de précision.
Au XIIe siècle, Geoffroy de Monmouth, clerc d'origine galloise au service des anglo-normands va s'emparer du mythe arthurien brittonique pour rédiger son Historia Regum Brittaniae et légitimer le règne des Normands sur la Grande-Bretagne, en lui fournissant des bases historiques et lui permettant de rivaliser avec les rois de France et leur Clovis et Charlemagne. L'ouvrage va faire office d'un véritable blockbuster et déclencher l'engouement de l'Europe entière pour la 'Matière de Bretagne', qui n'aura désormais plus rien à voir avec la Britannia des Ve et VIe siècles. C'est l'apogée du mythe arthurien.
On voit que les textes (tournés et retournés dans tous les sens par les spécialistes depuis plusieurs décennies) ne peuvent pas apporter un argument décisif concernant l'historicité d'Arthur.
Des preuves archéologiques ?
En 1998 est retrouvé à Tintagel, lieu mythique de la naissance d'Arthur, l'inscrïption 'COLI PATER AVI FECIT ARTOGNOV', traduite (entre-autres) par 'Arthognou/Arthneu, père d'un descendant de Coll, a fait construire ceci'. La presse s'intéresse tout de suite à l'affaire et on croit avoir une preuve indubitable de l'historicité d'Arthur. Le fait est que le nom Arthognou/Arthneu n'est pas Arthur, seulement l'un des nombreux noms brittoniques utilisant la racine 'Art-', 'Ours'. Tintagel était cependant une plaque tournante du commerce avec la Méditerrannée, et le dirigeant local devait détenir un pouvoir très important.
Le hillfort de South Cadbury, dans le Somerset, était au XVIe siècle pour les habitants des environs le Camelot du roi Arthur, comme le rapporte John Leland en 1538. Les fouilles ont révélé que c'était une imposante forteresse, nécéssitant près d'un millier d'hommes pour la défendre, ce qui donne une idée du pouvoir considérable du seigneur des lieux.
Le nom 'Arthur'
Plusieurs personnages de la période ont porté ce nom ou des noms approchants. Parmis les plus célèbres, des Irlandais ou Scotti, installés sur la côte ouest de l'île, Arthur de Dyfed au VIIe siècle, et Arthur mac Aedan de Dal Riada début du VIIe siècle. On a tenté de les identifier à l'Arthur historique, mais ils ne rentrent pas dans la chronologie habituelle de la période 'arthurienne', à savoir la fin du Ve et le début du VIe siècle.
D'autres roitelets se sont vus attribuer des tentatives d'identification. Un des arguments principaux soit que le nom d'Arthur soit plus un titre ou un surnom que le nom d'un seul personnage. Il peut en aller de même pour un Riothime ou un Vortigern ('chef suprême' en brittonique). Il est cependant bon de noter que ces noms pouvaient tout à fait être donnés dès la naissance, on a ainsi au VIe siècle un prêtre breton armoricain du nom de Catihern ('chef du combat').
Lucius Artorius Castus et la 'piste sarmate'
Il s'agit de la théorie mise en avant dans 'King Arthur' : le mythe arthurien aurait des origines sarmates. Mais qui est ce Lucius Artorius Castus ? Il s'agit d'un commandant romain d'origine illyrienne stationné sur le mur d'Hadrien à la fin du IIe siècle, et envoyé par la suite matter une révolte en Armorique. On est donc très loin de la période 'arthurienne'. D'aucuns ont voulu voir les fondements du mythe arthurien dans la théorie 'sarmate'. Des auxiliaires sarmates, notamment des cataphractaires, faisant partie des troupes romaines de Britannia au IIIe siècle. On trouve plusieurs points communs entre le mythe arthurien et la mythologie alano-sarmate, en lien par exemple avec une épée plantée dans une roche. Si une influence sur les autochtones est possible, il est irraisonnable de croire à une fondation uniquement sarmate du mythe arthurien. On retrouve des épées merveilleuses chez de nombreux peuples, dont le pendant direct d'Excalibur/Caliburnus/Caledfwlch, la Caladbolg irlandaise. Pourquoi vouloir donc chercher des origines si lointaines quand on les trouve de manière tout à fait logique et naturelle chez les Celtes des Iles Britanniques ? Les Romains ont adopté des Daces et des Sarmates le draco, manche à air avec une tête de dragon. Ce draco est bien entendu passé aux Bretons pour donner entre autres le dragon du Pays de Galles d'aujourd'hui.
En guise de conclusion
L'argument principal des tenants de l'historicité d'Arthur se résumant à "pas de fumée sans feu". Au final il s'agit plus de conviction personnelle que d'autre chose. La situation en Bretagne insulaire vers 500 peut tout à fait admettre l'existence d'un personnage de l'envergure d'Arthur, voir même de plusieurs. Mais en l'absence de davantage de preuves, on ne peut pas admettre son historicité, pas plus qu'on ne peut la réfuter en bloc.
Ma théorie personnelle, c'est qu'il a existé et détenait un pouvoir relativement important, et a très bien pu commandé aux Bretons à Badon vers 495. Maintenant, je n'irai jamais raconté au public "oui, il a existé, j'en suis persuadé". Il faut être honnête et démontrer qu'au final, on ne peut pas répondre autre chose qu'un peut être...
Et pour en apprendre un peu plus... Arthur d'Alban Gautier, édité par Ellipses. Dans les 25€ il me semble.
La première partie est consacrée à l'approche historique du mythe arthurien, en reprenant les arguments des "pro-" (comme Morris ou Alcock) et des "anti-arthuriens" (comme Dumville ou Padell), des auteurs d'ailleurs accessibles seuleument en lisant l'anglais. Le contexte historique est bien entendu étudié, puis les différentes sources, et enfin comme l'auteur le dit "trois hypothèses et un pari" sur, si Arthur a existé, quel a pu être son rôle dans l'histoire de la Bretagne insulaire et à quoi a t'il pu ressembler.
La seconde partie du livre reprend tout le développement du mythe arthurien, depuis la tradition galloise jusqu'à Sacré Graal ou Kaamelott, en passant bien sur par Monmouth, Chrétien de Troyes, Malory et les autres.
C'est je pense le bouquin le plus exhaustif sur le sujet, en français donc, et récent.
_________________ "O niurt Ambrois ri Frangc ocus Brethan Letha." "Par la force d'Ambrosius roi des Francs et des Bretons d'Armorique." Morcant map Conmail
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