Damianus a écrit:
Je me fais volontairement polémique, non pas que je rejette le sujet bien au contraire, d'autant plus que quoi qu'on en dise, il y a matière à retracer l'Histoire tardo-antique de la région, sans se perdre pour autant dans un flou fantastique. Pour peu que l'on reviennent sur les personnages et les événements qui ont fait cette Histoire, elle possède de beaux morceaux et une belle richesse.
Puisque Damianus a donné le ton, qu'on me permette une rapide synthèse, qui nécessairement force le trait. J'en emprunte les principaux éléments à quelques uns des messages que j'ai postés sur différents fils de discussion du forum de nos amis de l'
Arbre Celtique.
Le problème en l'occurrence, c'est qu'en dehors de l'
Historia regum Britanniae et de la littérature post-galfridienne, les "témoignages" sur Arthur ne sont pas légion : le matériau hagiographique gallois (je dis "gallois" pour faire court), qui est parfois sollicité, est encore plus tardif et moins fiable que celui qui concerne la Bretagne armoricaine, c'est tout dire !
Il faut donc se tourner vers l'unique témoignage contemporain : celui de Gildas dans son
De excidio Britanniae ; mais hélas, celui-ci ne parle pas d'Arthur. En outre, ce témoignage est largement biaisé par la personnalité de l'auteur et son projet apologétique (voir le fil dédié dans le présent forum).
J'avais écrit (
cum grano salis) que je voyais définitivement Arthur comme un personnage à la Jean-Bedel Bokassa, se voulant plus romain que les Romains et plus chrétien que les ministres du Christ, passant son temps à gommer son accent breton, à lisser ses cheveux rebelles et à se draper, comme le fit Clovis, dans la tunique rouge des
patricii (voir plus bas). Cette comparaison, un peu osée (je le reconnais bien volontiers) a suscité des réactions épidermiques, ce qui démontre que l'icône reste largement intouchable : "Introduire une comparaison "définitive" avec un tyran moderne tristement célèbre pour ses actions dans le cadre de la politique post-coloniale française du XXe siècle me semble une fantaisie de mauvais goût", écrit ainsi un des contributeurs du forum de l'AC. Pour info, je me suis efforcé à l'occasion d'un épisode bien connu de la
vita de saint Efflam, de dégager
une strate trégoroise du mythe arthurien ; voir également ce que j'ai écrit sur
la dimension arthurienne de saint Armel : ce sont là me semble-t-il des gages de ma "bonne" conduite en matière d'arthuriana.
Au demeurant, je ne défends pas ma comparaison entre Arthur et Jean-Bedel Bokassa sur le plan historique, puisque nous ignorons tout de l'existence d'un éventuel Arthur : je dis seulement que le personnage littéraire d'Arthur, ours assez mal lêché aux dires des hagiographes (cf. par exemple la
vita de saint Cadoc), me paraît être, à l'instar de
*Marcus Aurelius Commorus, le modèle de l'ultra-colonisé, qui a gardé l'ensemble des comportements bons ou moins bons du colonisateur, pêle-mêle avec ses propres habitudes ethniques. Il faudra un peu de temps pour voir ce personnage (entièrement littéraire je le répète) évoluer vers la "chevalerie", sinon la "courtoisie", qui caractérisent les romans "arthuriens".
Morcant a écrit:
Pour répondre à ta question, je ne pense pas que l'un ou l'autre soient incompatibles, même si les deux possibilités sont envisageables séparément pour Arthur ou son/ses prototype(s).
Un chef breton pouvait très bien avoir le titre de roi parmi les siens, et cumuler un titre romain ne se superposant pas nécessairement parfaitement. C'est le cas de Vorteporix, protector du Dyfed ; et si l'on doit aller voir ailleurs on pensera à Clovis, maître de la milice mais aussi roi des Francs.
A propos de Clovis, pour nourrir le débat sur les insignes de la dignité de patrice-consul au Ve siècle, le texte de Grégoire de Tours,
HF, Lib. II, cap. 38 :
De patriciato Chlodovechi regis.
Igitur ab Anastasio imperatore codecillos de consolato accepit, et in basilica beati Martini tunica blattea indutus et clamide, inponens vertice diademam. Tunc ascenso equite, aurum argentumque in itinere illo, quod inter portam atrii et eclesiam civitatis est, praesentibus populis manu propria spargens, voluntate benignissima erogavit, et ab ea die tamquam consul aut augustus est vocitatus. Egressus autem a Turonus Parisius venit ibique cathedram regni constituit. Ibi et Theudericus ad eum venit. "Du patriciat du roi Clovis.
Puis il reçut de l’empereur Anastase des lettres de consulat et, ayant revêtu, dans la basilique de Saint Martin, la tunique de pourpre et la chlamyde, il posa un diadème sur sa tête. Ensuite, étant monté à cheval, il jeta de sa propre main, avec une très grande libéralité, de l’or et de l’argent aux gens présents sur le chemin qui est entre la porte du parvis et l’église de la ville ; et, à partir de ce jour, il fut appelé consul ou auguste. Ayant quitté Tours, il vint à Paris et fixa en ce lieu le siège du royaume. C’est là que Thierry vint le trouver".
Trois siècles plus tard, Charlemagne, avant son couronnement impérial, était lui aussi patrice et consul de Rome, sorte de dignité double, que lui reconnaissait la Papauté.
En conclusion, je vous invite, si ce n'est déjà fait, à lire l'excellent ouvrage de M. Aurell sur
La légende du roi Arthur, qui constitue l'état de la question le plus récent et le plus exhaustif à ce jour.
Cordialement,
André-Yves Bourgès