J'ai lu l'ouvrage en question dans ses deux versions : celle du mémoire de doctorat et l'adaptation qui en a été faite à l'occasion de la publication. Malheureusement un fâcheux impondérable m'a empêché d'assister à la soutenance de thèse. Par ailleurs, j'ai eu l'occasion d'aborder le sujet de manière connexe à plusieurs reprises dans le cadre de mes travaux sur le matériau hagio-historiographique breton : mon opinion n'est pas encore arrêtée concernant les origines et l'histoire des
plebes bretonnes au haut Moyen Âge : je ne souscris évidemment pas aux visions anciennes de La Borderie, Loth ou même de Largillière ; les observations de L. Pape et G. Bernier et, plus récemment celles de S. Kerneis, me paraissent intéressantes à intégrer dans une réflexion actualisée sur le sujet ; l'approche proposée par A. Lunven, qui se situe dans le prolongement des travaux de F. Mazel à qui elle fait explicitement allégeance et rend un hommage appuyé (cf. p. 18 et p. 56, n. 114), me paraît avant tout constituer une application sur le terrain des confins bretons de la doctrine de "l'École de Tours".
La dimension "territoriale", parfois même "géo-descriptive", de nombre de ces
plebes me semble suffisamment patente pour couper court à certaines élucubrations ; mais leur dimension "institutionnelle" reste effectivement sujet de débats. Il en va de même s'agissant des diocèses : d’une brassée d’indices dont aucun ne s’avère véritablement dirimant, A. Lunven sait habilement tresser un faisceau d’arguments plus ou moins solides ; mais, malgré sa force de conviction et sa rhétorique, elle ne parvient à entrainer que le lecteur rendu d’avance à ses raisons. Il n’y a rien de véritablement probant derrière cette application à l’historiographie des territoires épiscopaux du concept de logique floue et les opinions contraires, qui sont d'ailleurs loyalement signalées (cf. par exemple à deux reprises, p. 60, n. 145, et p. 66, n. 167, s’agissant de J.-P. Brunterc’h, et p. 102, n. 104, s’agissant de B. Tanguy), demeurent tout autant recevables.
Certes, l’ "École de Tours" dispose à présent d’un solide corps de doctrine et son discours, malgré une tendance au "jargonnage", a incontestablement gagné en pertinence : il serait vain de nier que la problématique des origines de l’organisation territoriale de l’Église, au fur et à mesure qu’elle s’est enrichie de questionnements empruntés aux autres sciences humaines, est devenue plus complexe et doit être désormais abordée sous un angle élargi avec l’appui d’outils conceptuels de plus en plus élaborés ; mais au bout du compte, ce que révèle avant tout l’appareil argumentatif développé par A. Lunven dans la première partie de son livre, c’est que le courant historiographique "bretoniste", prisonnier de ses contradictions internes, n’est jamais parvenu à rendre compte de manière satisfaisante, sauf peut-être dans le cas de Dol (p. 44-49) qui reste néanmoins à vérifier de plus près, de la formation des évêchés bretons. Au passage, les positions défendues par le courant "romaniste" se voient elles aussi implicitement invalidées, car elles ne permettent pas non plus d’expliquer la situation locale. Le terrain historiographique ainsi "nettoyé" - parfois "à la grenade" pourrait-on dire
cum grano salis (cf. par exemple p. 39, dans le cas de B. Tanguy, et p. 47, n. 63, dans celui de J.-C. Poulin, comment leur "raisonnement s’écroule" ; ou encore p. 40, comment une hypothèse pourtant jugée séduisante d’André Chédeville se révèle "a priori contredite"), il ne reste plus à A. Lunven qu’à conforter les positions "tourangelles" dans les deux autres parties, bien documentées et très intéressantes, de son ouvrage.
Enfin, il me semble que le recours à certains outils et à certaines techniques empruntés à ce que l’on a longtemps désigné comme les "sciences auxiliaires de l’histoire", doit être soigneusement proportionné à ce que ces outils et ces techniques peuvent réellement apporter au sujet concerné et à son renouvellement, en dehors de tout effet de mode : c’est notamment le cas de l’archéologie qui, sans doute trop longtemps considérée avec une certaine condescendance par les historiens plus habitués à la critique des textes, prétend parfois aujourd'hui, pour les époques les plus anciennes, se substituer entièrement à d’autres types d’approches comme la toponymie, à qui son propre renouvellement issu d’une collaboration plus étroite entre historiens et linguistes (cf. par exemple
GRELOIS ET CHAMBON 2008) a permis de passer outre la condamnation prononcée par l’ « École de Tours » à la suite d’un procès (
ZADORA-RIO 2001) dont certaines (mauvaises) raisons ont été depuis mises en évidence (
GOUVERT 2008, 132 et n. 201).
Cordialement,