Rebonsoir Benjamin,
Morcant a écrit:
Cette analogie avec le chien semble en effet particulièrement fréquente chez les Celtes.
Voir à ce sujet l'excellent travail de Gaël Milin intitulé "L'ethnographie fabuleuse antique et médiévale : la diffusion en Bretagne, Pays de Galles, Irlande de la légende des hommes à tête de chien",
Au miroir de la culture antique: Mélanges offerts au Président René Marache, Rennes, 1992, p. 361-378.
Dans les vestiges de la
vita de saint Goëznou, l'hagiographe nous décrit
Conan Mériadec qui avec ses Bretons s'emploie à tuer, au départ de sa résidence de
castrum Meriadoci aux confins de Plougoulm (vraisemblablement Kermériadec en Tréflaouénan), tous les indigènes de la région, y compris des pays de Rennes et Nantes (et donc pas seulement les Léonards), "qui étaient encore païens et pour cette raison appelés
Pengonet, c'est à dire
têtes de chien" (
qui adhuc pagani erant, unde et Pengonet, quod sonat canica capita, vocabantur).
L'appellation "têtes de chien" est donc expressément donnée aux habitants de la péninsule armoricaine parce qu'ils sont païens ; voir à ce sujet l'article de Geneviève Bürher-Thierry, "Des païens comme chiens dans le monde germanique et slave du haut Moyen Age", dans
Impies et païens entre Antiquité et Moyen Age, éd. L. Mary et M. Sot, (Actes de la Table Ronde de Nanterre, avril 2000), Paris, 2002, p. 175-187, dont voici le bref CR par B. Ribémont :
"Je terminerai cette sommaire présentation par le dernier article du recueil, consacré par G. Bührer-Thierry à la dénomination de « chiens » pour les païens, en particulier dans le monde germanique et slave, durant le haut Moyen Âge. On sait que l'insulte est fréquente dans de nombreux textes médiévaux ; elle est encore largement utilisée à la fin du Moyen Âge, comme l'atteste, entre autre, son emploi par Guillaume de Machaut dans La Prise d'Alexandrie. La métaphore est courante chez les premiers uateurs chrétiens, comme Tertullien ou Lactance. Augustin, comme à l'accoutumé plus nuancé, voit dans l'image du chien l'homme qui renifle, en quête de nourriture : le païen est surtout celui qui est en attente de conversion. Alors que pour la plupart le chien mord et aboie, comme les païens après les chrétiens. L'origine de la métaphore est sans doute à chercher du côté de l'Ancien Testament, dans un passage du psaume 59 (p. 176). Mais le fondement de la tradition exégétique du chien-païen est à relever chez Augustin dans ses commentaires des psaumes 59 et 68, et surtout dans celui de Matthieu 15, 21-28, soit l'histoire de la Chananéenne implorant le Christ de guérir sa fille. Parallèlement, Jérôme donne lui aussi un commentaire de Matthieu, mais il distingue les chiens, assimilés aux idolâtres, des petits chiens métaphore s'appliquant à la Chananéenne. Cette tradition est reçue par le Moyen Âge, en particulier à travers Bède le Vénérable et Raban Maur. Cette tradition va avoir, entre autres, de curieuses conséquences, débouchant sur la considération d'un peuple fantastique, qui avait aussi intéressé Augustin : les Cynocéphales. Ce peuple, considéré comme bien réel, appartient-il à l'humanité ou à la bestialité et, en conséquence doit-il ou non recevoir la parole du Christ ? Cet intérêt pour les Cynocéphales pourrait être lié à des réminiscences de pratiques guerrières, dont témoigne l'Histoire des Lombards de Paul Diacre. On en trouve une application étonnante dans la légende de saint Christophe, qui, au départ, était un géant cynocéphale qui, par la grâce du baptême, obtient le don du langage humain et voit son nom transformé de Reprobus en Christophorus. La légende est quelque peu dérangeante et, finalement, on reviendra à Matthieu, pour renverser les choses et transformer le cynocéphale Christophe en...Chananéen ! Article passionnant, qui nous met aux sources de cette légende. Il faudrait faire la connection du travail de G. Bührer-Thierry avec les recherches sur les Cynocéphales dans la littérature vernaculaire, en particulier dans le roman antique (cf. le travail de Cl. Lecouteux), ainsi que dans la littérature didactique scientifique ; je pense tout particulièrement aux encyclopédies et aux textes d'Imago mundi dans lesquels les Cynocéphales sont presque toujours mentionnés".
Bien cordialement,
André-Yves Bourgès