André-Yves Bourgès a écrit:
A propos des "royaumes doubles", j'ai proposé (*) de reconnaître dans le fameux Conomor ou Commor l'héritier de la lignée des
Marci Aurelii, qui, depuis la fin du IVe siècle, auraient exercé héréditairement la charge de
praefectus classis de la Manche : d'où les trois retranchements fortifiés associés avec le personnage de *
Marcus Aurelius Commorus à proximité de rias portuaires, deux continentaux (Antellum près de Brest et Boxidus près de Toul-an-Hery Plestin) et le troisième dans l'île (Castle Dore près Fowey). La partie la plus ancienne de la
vita composite de saint Hervé (recte: Hoarvé) nous montre le père de ce dernier, Hoarvian, confié par Childebert à Commor, afin que celui-ci le conduise en Domnonée continentale pour pouvoir ensuite traverser plus aisément la Manche : dans ce texte, tout comme dans les
vitae moyenne et longue de saint Tugdual et dans la seconde
vita de saint Mélar, Commor est qualifié de "préfet du roi", titre insolite qu'il faut peut-être rapprocher de son éventuel préfectorat maritime.
Je n'ignore pas ce que cette hypothèse peut avoir d'hypothétique comme dirait M. de la Palice et comme l'a souligné en termes peu amènes certain contributeur du forum de l'Arbre Celtique,
qui parle de "supposition abusive" ; mais cette hypothèse a cependant été jugée "séduisante" par A. Chédeville et je l'ai retrouvée depuis reprise à leur compte par plusieurs chercheurs.
André-Yves Bourgès
(*)« Commor entre le mythe et l’histoire : profil d’un "chef" breton du VIe siècle » dans
Mémoires de la Société historique et archéologique de Bretagne, t. 74 (1996), p. 419-427.
Citer:
Je crois que je peux ici apporter un complément d'information utile à l'appui de cette hypothèse; Sur l'aspect héréditaire et dynastique de la charge et du titre, mais aussi pour le nomen qui peut parfaitement se justifier et ne doit pas être rejeté aussi radicalement. Peut-être pas tout à fait sur la ligne proposée, mais je pense qu'une réponse possible n'ai pas bien loin de l'hypothèse initiale, je tenterai d'être prudent et je vous argumenterai ce soir le fond de ma pensée.
Nous savons en effet pour l'époque tardive ce que les fonctions au service de l'empire aux sein des institutions civiles palatines et provinciales peuvent avoir de dynastique et quasi-héréditaires annonçant une aristocratie de sang qui ne dit pas encore son nom. les élites politiques et administatives sont déjà oligarchiques par essence! Pour ne citer qu'une seule sources (et elles sont nombreuses...) Sidoine apollinaire nous fait l'état d'une généalogie ininterrompue appartenant à une poignée de familles se disputant les plus hautes fonction à Rome même, à la préfecture de la ville mais aussi dans les provinces comme par exemple à la préfecture des Gaules sur deux voir trois générations et plus. C'est le même système qui prévaut pour toutes les charges et fonctions romaines aussi bien civiles que militaires (avec un turn-ovr plus grand chez les militaires il est vrai...) C'est encore la même choses au sein des élites curiales des cités.
Donc, la récupération d'une fonction de père en fils sur un mode héréditaire et dynastique est parfaitement crédible. En cela, l'appelation "préfet du roi" que vous citez ne me choque absolument pas, je la trouve même logique dans un glissement de sens passant des grandes prefectures imperiales des administrateurs provinciaux les plus importants au service de l'empereur, à un équivalent au service d'une lignée royale. De même si le titre est à vocation militaire, les préfets sont depuis longtemps un grade de commandement supérieur.
Je passe très vite sur Carausius et sa soit-disante pérénité sur l'Ile de Bretagne à travers ses descendants auquel je ne crois pas du tout, connaissant bien les shémas de pensée des célébres tétrarques. Mais que des Aurelii se perpetuent aussi loin, peut trouver son explication justement dans les usages des empereurs tardifs. En effet, nous connaissons sous la tétrarchie, un nombre important d'Aurelius dans le praenomen ou dans le nomen de nombre de militaires de cette époque (au hasard, le soldat Aurelius Gaius...) On ne le doit évidemment pas à Carausius mais à Dioclétien lui-même dont le nomen de sa gente est Aurelius! L'usage qui se développe à l'époque tardive est que l'empereur offre son nom aux hommes qui entrent dans sa familiarité, l'armée tardive étant redevenu une armée clientélaire à l'image de l'époque républicaine. Ils sont même littéralement ses compagnons (Comitatus/Comes/Comites) Ainsi donc, des hommes rajoutent le nom de l'empereur au sien par marque de fidélité ou se le voit donné très officiellement, surtout dans l'armée et dans le comitat imperial. Un autre exemple sont ces germains de l'armée romaine qui se voient offrir un nom romain avec la citoyenneté, promoteur de l'ascention sociale.
Dioclétien a fait ainsi comme le fera plut tard Constantin dans des proportions encore plus grandes. Une foule de personnes nous sont connues à partir du milieu du IVe siècle et du Ve siècle avec le prenomen et le nomen de Flavius qui est celui de la gente de Constantin Ier. De même vous comprenez aisément pourquoi vous trouverez "Valerius Aurelius" dans les nomina complète de Constantin!
Que des Aurelii se perpétuent aussi longtemps en Occident n'est donc pas choquant, Les tétraques ayant mis avec leur victoire leurs hommes aux postes gouvernementaux. L'hypothèse n'est donc pas caduque et continue de se défendre.