Ambrosius Aurelianus et Riothamus sont deux personnages historiques incontournables pour qui s'intéresse aux Bretons du Ve siècle. Le premier est entré dans la légende sous le nom d'Emrys Wledig, l'
Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth au XIIe siècle en fait le prédécesseur sur le trône de Bretagne et frère d'Uther Pendragon, et l'oncle d'Arthur, ainsi que le fils de Constantin III. Il est aussi l'un des prototypes historiques du personnage de Merlin, du moins dans les premières traditions qui s'attache à lui au IXe siècle dans l'
Historia Brittonum, quant adolescent, il se fait prophète annonçant à Vortigern la lutte entre Bretons et Saxons. On a aussi voulu faire de lui l'un des avatars historiques d'Arthur, du moins comme l'homme unissant les Bretons pour les mener à la victoire à Badon.
Ambrosius Aurelianus n'en reste pas moins un personnage historique tout à fait avéré, dans le
De Excidio Britanniae de Gildas.
(p38), XXV, 3 "Ambrosius Aurelianus devint leur chef. C'était un homme vertueux, le seul des Romains à avoir, par hasard, survécu au choc d'une telle tempête : ses parents qui avaient aussi portés la pourpre avaient sans doute été tués. De nos jours, ses descendants ont beaucoup dégénéré de la vertu de leurs aïeux. Sous son commandement, les Bretons reprennent des forces et provoquent les vainqueurs au combat. Dieu les approuvent, aussi ont-ils la victoire."(p38), XXVI, 1 "A partir de là ce sont tantôt nos compatriotes, tantôt les ennemis qui l'emportent [...]. Ceci dura jusqu'à l'année du siège du mont Badon, le dernier massacre peut être des brigands, mais non le moindre. Ceci se passait, à ma connaissance, il y a quarante-trois ans et un mois passés. C'était aussi l'année de ma naissance."Saint Gildas,
De Excidio Britanniae, traduction de Christiane Kerboul-Vilhon, Editions du Pontig, 1996.
Que peux t'on retenir de ce passage ?
Ambrosius mène la lutte des Bretons contre la révolte des fédérés saxons, vraisemblablement dans la seconde moitié du Ve siècle. Il est présenté comme un Romain, et il semble que ses parents aient eu une fonction suffisamment importante pour avoir reçu la pourpre. Sa dynastie se perpétue à l'époque de Gildas (on peut penser à Aurelius Caninus l'un des tyrans dénoncés par Gildas, ainsi qu'à Paulus Aurelianus l'un des saints fondateurs bretons).
Gildas ne dit pas explicitement si c'est toujours Ambrosius qui mène les Bretons à la victoire à Badon, ce qui a conduit certains à présenter l'hypothétique Arthur comme son successeur ou l'un de ses généraux.
Je ne m'attarderai pas davantage sur la tradition ultérieure, et nécessairement plus problématique, sur la carrière d'Ambrosius. On notera juste que son père est décrit comme un "consul du peuple romain" dans l'
Historia Brittonum du IXe siècle.
Passons maintenant à Riothamus. Il nous est connu par des sources continentales, agissant entre 460 et 470 en Gaule suite à l'appel d'Anthemius pour lutter contre les Wisigoths d'Euric, comme le rapporte Jordanès et Grégoire de Tours. Il est cependant vaincu à Déols, en 469, avant d'avoir pu faire jonction avec les forces romaines (de Syagrius ?).
C'est aussi un correspondant de Sidoine Apollinaire, qui décrit la puissance des forces bretonnes.
Il persiste peut-être dans la tradition bretonne continentale, inclus dans la généalogie (tardive) des rois de Domnonée sous le nom de Riatam. S'il s'agit bien de lui !
Voici les extraits des sources mentionnées ci-dessus. Merci à Damianus pour l'extrait de Jordanès.
"(...) Euric, roi des Wisigoths, voyant les Romains changer si souvent d'empereur, s'efforça de soumettre les Gaules à sa domination. A cette nouvelle, l'Empereur Anthemius demanda aussitôt le secours des Bretons. Riothamus, roi de ce peuple, vint sur des vaisseaux par l'Océan avec douze mille hommes, débarqua, et fut reçu dans la cité de Bourges. Euric, roi des Wisigoths, s'avança contre ces ennemis avec une armée innombrable, et après une longue lutte, il vainquit Riothamus, roi des Bretons, avant que les Romains eussent pu opérer leur jonction avec lui. Riothamus perdit une grande partie de son armée; il prit la fuite avec ceux qui purent survivre, et arriva chez les Burgondes, voisins de ces contrées, et alors alliés des Romains (...)" Jordanès, "
Histoire des Goths", XV.
On retiendra que Riothamus est décrit comme un roi, qu'il franchit la mer avec une armée relativement puissante (bien que le chiffre soit très probablement exagéré, et que comme le disait Damien c'est aussi l'un des plus petits mentionnés par Jordanès). Riothamus vaincu se réfugie chez les Burgondes.
Les Bretons furent expulsés de Bourges par les Goths, beaucoup d'entre eux ayant été tués près du bourg de Déols.Grégoire de Tours,
Historia Francorum, Livre II Paragraphe 18.
SIDONIUS A SON CHER RIOTHAMUS, SALUT
Voici encore une lettre dans le style ordinaire, car je mêle les compliments aux plaintes. Ce n'est pas, certes, que je m'étudie à prendre un ton officieux dans le titre, rude et âpre dans les pages qui le suivent; mais chaque jour il arrive des choses dont un homme de ma naissance ou de mon rang ne saurait parler sans déplaire, qu'il ne peut cacher sans se rendre coupable. Du reste, j'ai égard à vos sentiments d'honneur, qui furent toujours tels, que vous rougissez même des fautes d'autrui.
Le porteur de ma lettre, humble, obscur et d'un caractère à se laisser fouler impunément, se plaint que ses esclaves ont disparu, débauchés en secret par les Bretons. J'ignore si sa plainte est fondée; mais, pourvu que vous confrontiez avec impartialité les parties adverses, je pense que ce malheureux établira facilement ce qu'il allègue : toutefois j'appréhende 'qu'au milieu de gens subtils, armés, turbulents, remplis d'une confiance hautaine à cause de leur force, de leur nombre et de leurs compagnons, un homme isolé, faible, sans crédit, sans usage du monde, étranger et pauvre, ne puisse être entendu avec justice et bonté. Adieu.Sidoine Apollinaire,
Lettres, Livre III, 9.
http://remacle.org/bloodwolf/historiens ... ttres3.htmOn mentionnera également le message que rapporte Sidoine, adressé par Arvandus, préfet des Gaules, à Euric.
"Il apparaissait que ce message était adressé au roi des Goths, qu'il lui déconseillait de faire la paix avec l'empereur grec (Anthemius), lui montrait la nécessité d'attaquer les Bretons établis au nord de la Loire, affirmait que les Gaules devaient, selon le droit des peuples, être partagées avec les Burgondes."Sidoine Apollinaire,
Lettres.
Cela montre bien la position de force des Bretons en Gaule à l'époque de Riothamus...
Geoffrey Ashe a voulu identifié Riothamus à Arthur, d'autres l'ont identifié à Vortimer, l'un des fils de Vortigern. Ici nous nous arrêterons sur une autre hypothèse, développée par Léon Fleuriot dans
Les Origines de la Bretagne : Ambrosius Aurelianus et Riothamus ne feraient qu'un seul et même personnage. Voici les arguments qu'il avance :
- les deux sont contemporains, et sont tenus en estime par le haut clergé, respectivement Gildas et Sidoine, les deux sont montrés comme "chefs suprêmes" des Bretons
- Ambrosius Aurelianus est le seul breton présenté comme régnant des deux côtés de la Manche à l'époque. La version irlandaise de l'
Historia Brittonum mentionne Vortigern tremblant devant
"Ambrois ri Frangc ocus Brethan Letha", Ambrosius roi des Francs et des Bretons continentaux. Les traditions ultérieures parlent de son exil outre-Manche
- toujours dans l'
Historia Brittonum, Ambrosius est présenté comme le
"rex inter omnes reges Britannicae gentis", le roi suprême des Bretons, et c'est le sens précis que donne Fleuriot au nom celtique
Rigotamos, à l'origine de la version latinisée, Riothamus, compris comme un nom usuel par les Gallo-romains.
Léon Fleuriot développe par la suite la thèse qu'Ambrosius Aurelianus Riothamus assista les Romains de Syagrius contre Childéric, à l'époque du "recul" de ce dernier, et se base sur une datation de 470 pour la lettre de Sidoine, suggérant de ce fait que Riothamus possédait encore des forces puissantes après Déols.
J'avoue être assez partisan de cette théorie, mais plusieurs problèmes me sautent aux yeux.
D'abord l'utilisation faîte par Fleuriot de l'
Historia Brittonum. Il s'agit d'un amalgame de chroniques et de traditions diverses, y compris légendaires, probablement compilée par le moine gallois Nennius au IXe siècle, peut-être en partie oeuvre de propagande au service de la dynastie des rois du Gwynedd. C'est aussi l'une des premières sources à mentionner Arthur. Une première version aurait peut-être été compilée dès le VIIe siècle par Rhun, fils d'Urien, et la version irlandaise serait l'une des plus archaïques. Je pense qu'André-Yves pourra nous apporter une approche critique de ce texte.
Ensuite, la datation de la lettre de Sidoine. Cela change totalement la donne selon qu'on la considère écrite avant, ou après Déols.
Je vous laisse donc intervenir sur le sujet, n'hésitez pas à demander des informations complémentaires notamment sur les sources utilisées par Fleuriot, je n'ai pas tout détaillé.