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 Sujet du message: Le castrum d'Yverdon
Nouveau messagePublié: 19 Jan 2011, 22:42 
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Inscrit le: 08 Sep 2008, 14:05
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Castrum Ebredunense.

C'est ainsi qu'il est nommé dans la "Noticia Galliarum", La Notice des Gaules, dressée entre 367 et 395. Cet important document énumérait la liste des provinces des Gaules, avec leurs capitales et les principales localités dont elles dépendaient. Ce texte nous est malheureusement parvenu sous une forme altérée, parce que réaménagé probablement au début du VIème siècle dans le but de dresser une liste des évêchés et des métropoles ecclésiastiques. Heureusement, l'interpolateur ne jugea pas nécessaire de retirer les noms des cités ou localités qui n'hébergeaient pas ou plus d'évêques à son époque.

PROVINTIA MAXIMA SEQVANORVM,

NVM. IIII.

Metropolis Ciuitas Vesonciensium. [La métropole, cité des Vesontienses > Besançon]
Ciuitas Equestrium Noiodunus. [cité équestre de Nouiodunum, Nyon]
Ciuitas Elvitiorum hoc est Auenticus. [cité des Helvètes où est Avenches]
Ciuitas Basiliensium. [cité des Basilienses > Bâle]
Castrum Vindonissense. [Château de Windisch]
Castrum Ebredunense. [Château d'Yverdon-les-Bains]
Castrum Rauracense. [Château d'Augst]
Portus Abucini. [port d'Abucini > Port-sur-Saône]

Et donc y figure la mention de ce Castrum Ebredunense dont je vais vous évoquer l'existence.
Ne cherchez pas sur le web ou dans les recueils historiques de vos bibliothèques, vous ne trouverez rien, ou si peu! Seules quelques publications assez confidentielles en parlent et, plus récemment, des fouilles encore non publiées l'ont fait sortir de l'oubli.

Mais prenons les choses dès leurs débuts.

Le premier nom connu d'Yverdon, paisible petite ville de Suisse romande est Eburodunum. "la Forteresse de la Cité des Ifs". Nom bien gaulois, attesté par plusieurs inscriptions du Haut-Empire, et surtout par la découverte d'une fortification celtique de plaine, un oppidum important cerné de puissants remparts de terre, de pierre et de madriers. Oppidum qui deviendra vicus avec la romanisation, bourgade qui devait être relativement importante au vu de son extension repérée par les fouilles et aussi par la taille de ses monuments, dont certains devaient être imposants au vu des fragments architecturaux retrouvés.
Viendra le IIIème siècle, et son cortège de troubles et d’insécurités. Comme beaucoup, voire la plupart des villes de la cité des Helvètes, notamment Avenches a sa capitale, ou de la cité des Equestres ( Nyon), la dépopulation a probablement été importante, à tel point que l'on ne trouve guère de traces d'activités entre les années 260 et 320 environ.
En 324, Constantin, seul maître de l'empire après l'élimination de Licinius, est plus que jamais confronté aux problèmes de sécurité intérieure en cas de rupture de l'un ou l'autre "limes". Qu'une ligne de fortifications soit percée et c'est la catastrophe. Concentrer l'essentiel des troupes aux frontières était la stratégie dominante depuis le temps de Gallien, et Constantin percevait parfaitement les limites de ce type d'organisation militaire. En 324 donc, il prend une décision essentielle pour l'époque et établit le concept de défense en profondeur. Dégarnir partiellement les frontières pour établir des masses stratégiques à l'arrière doit selon lui permettre de stopper plus facilement les incursions ennemies que de se lancer à leur poursuite depuis le lieu où elles ont passé un limes. L'avenir lui donnera raison.
Donc, très rapidement, dès la fin de l'année 324, toutes les forces de l'Empire s'attacheront à un vaste programme de construction de fortifications militaires ou civiles destinées à l'établissement de troupes, de stockage de matériel ou d'approvisionnements de toutes sortes, les lieux étant soigneusement choisis en fonction de leur importance tactique ou stratégique. Une série d'émissions monétaires caractéristiques célèbre cette décision:

Image

Il en a été ainsi pour Yverdon. Si sa place dans le système routier n'en faisait pas un lieu de très grande importance stratégique malgré la présence d'un important carrefour, il en était tout autre en ce qui concerne le trafic fluvial.

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Dès les années 250 à 260, les peuples germaniques avaient à maintes reprises franchi le limes et coupé les voies de communications terrestres,rendant très hasardeuses les tentatives de riposte. Et en plus il y avait les premières bandes de bagaudes... Infiniment plus faciles à sécuriser, les transports fluviaux ou lacustres faisaient donc d'Yverdon un point idéal pour rassembler fournitures, armes ou vivres provenant d'Italie ou de Lyon, pour les embarquer à destination du front du Rhin, dont la région de Bâle à Kaiseraugst (Augusta Raurica), puis au lac de Constance formait un secteur plutôt chaud. Donc nécessité de fortifier une surface suffisamment vaste pour entreposer le matériel en attente d’embarquement, abriter les troupes nécessaire à sa défense et éventuellement offrir un abri aux civils.

La dendrochronologie fixe en hiver 324-325 la date d'abattage des pieux de chêne qui serviront aux fondations de la muraille et des tours de l'enceinte, et le Castrum prendra cette forme:

Environ 150 X 100 mètres, muni de 15 tours de défense dont toutes les fondations ont été retrouvées. A l'intérieur, un établissement thermal est attesté, des entrepôts et des cantonnements semblent avoir occupé le reste de la surface disponible, et peut-être des locaux destinés à abriter les civils en cas de danger ou de conflit ouvert.

Image

L'importance stratégique de cette forteresse sera par la suite confirmée dans la Notice des dignités, qui mentionne la présence d’une préfecture de flotte militaire dans son folio XLII:

XLII.
Item praepositurae magistri militum praesentalis a parte peditum.
in provincia Riparensi:
Praefectus classis barcariorum, Ebruduni Sapaudiae.


Que l'on peut traduire comme ceci:
Les commandants sous les ordres du maître de l'infanterie :
Dans la province [de Gaule] ripuaire :
Le préfet de la flotte de transport à Yverdon en Savoie

Cette section semble avoir été écrite vers 390 durant le règne de Théodose. Elle pourrait être le reflet de la situation aux temps des Valentiniens notamment. Les textes mentionnent clairement une situation extrêmement tendue sur le front du Rhin dans les années 370 et suivantes,. à tel point que Valentinien II devra se trouver en personne pendant deux ans au moins dans le région de Bâle pour organiser la défense et le renforcement de la ligne de fortifications du Haut-Rhin entre Strasbourg et le lac de Constance. De ce point de vue, il est évident que les approvisionnements depuis l'arrière devaient être assurés, et Yverdon se trouvait naturellement être un des maillons essentiels de la chaîne de ravitaillement. La très grande abondance du monnayage émis entre 330 et 388 retrouvé sur le site confirme cette appréciation, que la découverte de plusieurs épaves vient encore renforcer.

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Une reconstitution de ce que pouvait être ce castrum. Il y manque toutefois une asez importante agglomération civile qui a subsisté sur les rives du lac à gauche et à droite de l'enceinte.

Ces dernières années, de vastes fouilles ont été menées aux abords immédiats du Castrum, et en outre des sections peu connues du mur d’enceinte, épais de 2,5 m. à la base, un triple réseau de fossés de défense, larges de 3 m. et profonds de 1,5, ont été mis au jour. UN quartier de l’ancien vicus du haut-empire, peut-être déserté au début du IVème siècle, a été intégralement rasé pour faire place à la forteresse, à son système de fossés ainsi qu’un glacis de 50 mètres au moins dépourvu de toute constructions. Au-delà de cette zone, surtout à l’est et à l’ouest, une bourgade assez importante semble avoir survécu, et s’être même développée jusque vers la fin du Vème siècle au moins.
De vastes nécropoles ont été repérées et fouillées, dont l’une assez récemment, et j’aurai l’occasion d’y revenir. Un four de tuiliers du IVème siècle daté par une monnaie de Valens (364-378) a aussi été mis au jour à 500 m. à l’Est, et surtout une barque également du IVème dans ce qui devait être le port antique.

Ce castrum était donc un poste important dans la stratégie de défense du limes germanique. De nombreuses autres places fortifiées se trouvaient également entre cette localité et les rives du Rhin. J’aurai l’occasion d’y revenir, comme sur les trouvailles associées à cette forteresse.

_________________
Illanua, potier-archéocéramiste

http://arscretariae-archeoceramique.blogspot.com/


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