44 - ORGANISATlON DE L'ARMÉE.
Chronique de Tabarî, Histoire des Envoyés de dieu et des rois. Traduite sur la version persane de Abou- ‘Alî Mo’Hammad Bel’Amî par Hermann Zotenberg. Nouvelle édition revue et corrigée par Mohamad Hamadé. Edition Al Bustane 2002, pages 402 – 406. -
"Lorsque Nouschirwân eut bien terminé l'affaire de l’impôt, il se dit en lui même que si cette affaire, qui concerne tout le royaume, est terminée, il faut régler l’emploi de l'impôt, et, de même que je sais comment il entre dans le trésor, il faut que je sache comment il en sort. L'argent qui sort du trésor royal va à l'armée mais il y a du désordre dans le paiement de l'armée; il faut le réformer également. Alors il fit venir un homme d'entre les grands scribes, âgé, et descendant d’une famille qui exerçait depuis un grand nombre d'années les fonctions de scribe. Cet homme s'appelait Bâbek, fils de Nîrwân. Nouschirwân lui parla ainsi: Le paiement de l’armée se fait sans règle; on donne de l'argent à ceux qui n'y ont aucun droit et ceux qui ont un droit légitime d'y prétendre en sont privés. Je veux réformer cet abus. Je vais te confier les rôles d'inspection et de paiement; tu donneras l'argent à ceux qui doivent le recevoir et autant qu'ils doivent en recevoir.
Il y a dans l'armée des personnes dont la solde ne doit se monter qu'à cent dirhems, et qui en reçoivent mille. Il y en a qui, n'ayant pas de cheval, reçoivent cependant la solde d'un cavalier; d'autres qui ne savent pas tirer de l'arc et qui reçoivent la solde des archers; tel qui ne sait pas se servir de l'épée est payé comme un fantassin, et tel autre qui n'a pas d'armure reçoit la solde des cuirassiers. Tout cela est un préjudice pour moi; et, de même que je ne fais pas tort au peuple, ni à l'armée, il ne faut pas qu'ils me fassent tort. Je t'ai donc choisi pour te charger de cette affaire, pour mettre tout à fait entre tes mains l'argent de la solde, afin que tu en disposes souverainement.
Je vais faire préparer une grande place devant mon palais pour une revue: C’est là que tu dois passer les troupes en revue. Assis sur un siège élevé, fais défiler devant toi les soldats et fais toi présenter leurs chevaux, et inscris chaque homme sur le rôle que tu garderas. Exige que chaque homme se présente complètement armé, avec une cotte de mailles et, par dessus, la cuirasse, allant jusqu'aux genoux; le casque sur la tête, avec la chaîne, et des brassards de fer aux deux bras. Le cheval doit être couvert d'une cotte. Chaque homme doit avoir une lance, une épée, un bouclier, et une ceinture au milieu du corps, à laquelle sera fixée une massue de fer, qui pendra du devant de la selle; derrière la selle sera le carquois qui contiendra cent soixante flèches de bois; du côté gauche sera l'étui, contenant deux arcs, dont chacun doit être muni d'une corde; il y aura deux autres cordes de rechange, afin que si pendant le combat, la corde se brise, elle puisse être remplacée. Ordonne que ces deux cordes soient rattachées à l'arçon de la selle et pendent par derrière, afin que tu puisses voir que l'homme a son armement complet. Puis, quand tu auras trouvé que l'homme a son armement complet, inscris-le, afin que, chaque fois que tu l’inspecteras pour lui payer la solde, s'il lui manque un des objets de son armement tu le refuses et lui retiennes la solde. Après avoir examiné l'armement, fais avancer l'homme dans l’arène devant toi, qu'il manie le cheval, qu'il en descende tout armé et qu'il remonte sur lui, afin que tu voies s'il est cavalier ou non, et à quel degré il sait l'art de t'équitation. Puis ordonne lui de détacher toutes les pièces de son armement, pour voir s'il sait le faire. Alors, en raison de son habileté et de sa force, fixe la solde de chaque homme, depuis cent jusqu'à quatre mille dirhems: ne fixe pas aux fantassins moins de cent dirhems, et aux cavaliers, quels que soient leur appareil guerrier et le parfait état de leur armement, plus de quatre mille dirhems.
Nouschirwân, ayant investi Bâbek de ces fonctions, lui donna une robe d’honneur. Il fit construire sur l’arène, devant son palais, un grand pavillon pour l’inspection; il y fit mettre un tapis brodé et un siège d'honneur de brocart brodé. Il dit à Bâbek: Prends y place et passe l'armée en revue. Puis il fit proclamer par un héraut que toute l'armée eût à se présenter devant Bâbek, quand et chaque fois qu’il l’ordonnerait, et que la solde qu'il fixerait à chaque soldat serait approuvée par le roi. Le lendemain, Bâbek vint se placer sur son siège et fit proclamer par un héraut : Quiconque veut recevoir la solde du roi et que son nom soit enregistré dans les rôles se présentera au bureau avec son cheval et son armement complet, comme s’il partait pour la guerre. J'exige de chaque homme tel et tel armement. Que chaque homme prenne les armes qu'il sait manier. Je vous accorde trois jours de temps afin que celui qui n'a pas son armement se le procure, et que celui dont l'armement n’est pas complet le complète. Et que chacun le produise le quatrième jour à la revue. Le quatrième jour, Bâbek prit place sur le lieu de la revue, et toute l'armée s'y réunit. Il dit aux troupes: Rentrez, car celui qui devait venir n'est pas venu. Les soldats se retirèrent. On en informa Nouschirwân, qui apprit en même temps que les chefs de l’armée n'étaient pas venus, tandis que Bâbek devait les inscrire en tête des rôles. Le lendemain, les troupes arrivèrent, et Bâbek leur dit de même: Rentrez, car celui qui devait venir n'est pas venu. Elles se retirèrent, et on en avertit le roi, qui ne savait pas de qui Bâbek voulait parler. Ensuite, Bâbek fit proclamer: Que demain, toutes l’armée vienne à la revue; que celui qui est investi de la royauté, qui tient la couronne et le trône, se présente également; son nom doit être placé en tête des rôles; il faut que la solde qu'il reçoit du trésor soit publiquement fixée; il fait partie de cette armée.
Le roi, averti, comprit alors qui Bâbek avait voulu désigner et dit: C'est là une extrême régularité. Le lendemain, Nouschirwân mit son casque sur sa tête et se couvrit de tout l'armement, tel qu'il avait été ordonné, mais il oublia les deux cordes que chacun devait avoir pendues derrière soi. Il monta à cheval et sortit sur la place de la revue, se présentant devant Bâbek. Toutes les troupes y étaient réunies. Quand il s'avança vers le pavillon, Bâbek se leva et lui dit: Ô maître de la couronne, du trône et du pouvoir, tourne ton cheval pour que je t'examine. Il le regarda et ne vit pas les deux cordes. Alors il dit:Quoique tu aies la souveraineté et le commandement, à ce tribunal tu n'as pas de privilège, et je ne souffre pas qu'il y ait un défaut à ton armement. Nouschirwân dit: Quel défaut y vois-tu? Regarde. Puis il se rappela les deux cordes, les fit apporter de son palais et se les suspendit sur le dos. Alors Babek inscrivit sur les rôles: Nouschirwân, maître de la couronne. Ensuite il dit : Ô maître de la couronne, je n'inscris personne, quelque grand, vaillant et bien armé qu’il soit, pour plus de quatre mille dirhems. Tu disposes du pouvoir royal tu as le trône sous toi et la couronne est sur ta tête; il faut que le roi ait un préciput; de combien veux-tu que je t'avantage? Nouschirwân dit: D'autant que tu le jugeras convenable. Bâbek dit: Je t'accorde un dirhem de plus, afin que le droit du roi soit satisfait et que le trésor n'ait pas de dommage. Nouschirwân dit: J'y consens. Bâbek l’inscrivit pour quatre mille et un dirhems, et Nouschirwân rentra dans son palais. Les soldats commencèrent à redouter Bâbek, disant: Puisqu'il ne ménage pas le roi il ne ménagera personne, et comme il n'assigne pas au roi plus de quatre mille et un dirhems, il n'avantagera personne. Bâbek se mit à inspecter les troupes et à fixer à chacun la solde selon qu'il le jugeait capable.
Le lendemain, il alla trouver Nouschirwân, qui était assis sur son trône, la couronne sur la tête. Il baisa la terre devant lui et dit: Ô roi, je t'ai soumis à un examen si sévère afin que personne ne s'attendit à l'indulgence de ma part pour un défaut dans l’armement ; et je ne t'ai assigné qu'un dirhem de plus, afin que personne ne ne s’attendit à recevoir plus de quatre mille dirhems. Nouschirwân dit: J'ai apprécié ton avis et suis content de ton procédé; continue de la même façon de fixer la solde des troupes selon le mérite de chacun; je te donne cette charge à vie. Il le combla de marques de distinction et lui fit donner une robe d'honneur. Bâbek sortit et termina la revue de l’armée. Les affaires de Nouschirwân, en ce qui concerne l'armée, les revenus et les dépenses, étaient ainsi en parfait état et sa justice envers ses sujets et envers l’armée complète.
Dans la même année, des chacals parurent en Perse, de ceux qu'on appelle en arabe ibn-âwa et qui n'avaient jamais existé en Perse. Ils existaient dans le Turkestân, et c'est de là qu'ils venaient en Perse, dans l"lrâq. Dans chaque village et dans chaque ville, leurs cris terribles se faisaient entendre pendant la nuit, et le lendemain, les hommes ne voyaient rien: ils avaient peur, pensant que ces cris étaient produits par un Dîv qui était venu sur la terre. Nouschirwân eut également des appréhensions; il fit venir le grand mobed et lui dit: Qu'est-ce que ces cris qu’on entend sur la terre, pendant la nuit, sans que l'on voie ce qui les produit? Le mobed lui répondit: J'ai lu dans certains livres que, quand le roi commet l'injustice et exerce l'oppression, il sort du ciel et également de la terre un bruit tout comme les hommes l'entendent, sans rien voir. Mais je ne sais rien en fait de justice envers les sujets et l'armée que le roi n'ait accompli, et j'ignore pour quelle cause ce bruit se fait entendre. Cependant, je pense que les fonctionnaires de l'impôt font du tort aux citoyens et qu'ils en exigent plus que le roi n'a ordonné. Nouschirwân dit: Que faut-il donc faire? L'autre répondit: II y a dans chaque ville un mobed et un docteur, des hommes sûrs et honorables. II faut écrire à ces hommes et leur envoyer les rôles de l'impôt, afin que, dans chaque ville, le mobed puisse, au moyen de ces rôle surveiller la gestion des receveurs et de les empêcher de prendre plus qu'il ne faut. Nouschirwân fit ainsi. Dans la suite, les hommes établirent des pièges et prirent des chacals: ils les portèrent à Nouschirwân, qui dit: II est étonnant qu'un être si faible ait une voix si terrible. Après cela, on ne craignit plus les cris des chacals.
Nouschirwân régna en paix. Pendant son règne, notre Prophète vit le jour. que ce fut au bout de la quarantième année de son règne; d'après d'autres, au bout de la quarante-deuxième année; mais on est d'accord qu'il naquit dans l'année de l'Éléphant. Le règne de Nouschirwân dura quarante-huit ans."
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