LES UNITES "BRETONNES" DANS LA NOTITIA DIGNITATUMAvant-proposLes noms ethniques de la
Notitia Dignitatum (document de la fin du IVe siècle/début du Ve) permettent d'identifier une partie des unités comme étant d'origine bretonne ou gaélique, il en reste que pour beaucoup d'autres nous n'avons pas d'idée du recrutement d'origine.
La synthèse qui suit a pour but de répertorier ces différentes unités, celles explicitement bretonnes, mais aussi d'autres qui ont pu être composées de Bretons.
Les Bretons des franges occidentales de l'île, les plus faiblement romanisés, constituaient probablement d'excellentes recrues, fières de leur appartenance à l'empire mais toujours forts de leur vertu guerrière. Rome toléra d'ailleurs - les encourageant même peut être - les royautés locales du futur Pays de Galles ou des
Dumnonii à rester armées pour assurer leurs défenses contre les barbares irlandais.
Immédiatement au nord du mur d'Hadrien, on trouvait plusieurs tribus bretonnes alliées à l'empire. Si la région entre les murs d'Hadrien et d'Antonin n'était officiellement plus sous contrôle romain, les territoires des
Damnonii,
Selgovae,
Votadini et autres étaient probablement à certaines époques des royaumes clients de Rome, états tampons contre les incursions des Pictes. L'état major romain pouvait y recruter ses
exploratores ou éclaireurs.
Enfin, de nombreux Gaéls s'installèrent dans l'antiquité tardive en
Britannia. S'ils étaient souvent hostiles, certaines de leurs dynasties comme celle des rois du Dyfed devinrent des alliés de Rome.
A ces recrues potentielles, on doit ajouter les citoyens de la Bretagne romaine, bien sur eux aussi susceptibles d'être enrôlés.
I - Les troupes bretonnes dans le diocèse des BretagnesUne bonne partie des troupes stationnées en Bretagne insulaire, même si provenant d'autres régions de l'empire, ont du voir leurs rangs composés de Bretons à un moment ou à un autre de leur histoire. Ces troupes furent successivement retirées de l'île par Maximus Magnus, Stilicho et Constantin III, même si une petite partie d'entre elles restèrent peut-être en arrière après 407. La
Notitia Dignitatum, nous donne l'état de ces forces vers 400, soit après l'usurpation de Maxime et avant celle de Constantin III, et probablement avant que Stilicho ramène plusieurs de ces légions sur le continent, mais les difficultés du document ne permettant pas de déterminer lesquelles avec précision.
On trouve trois commandements en Britannia, à savoir deux comtes et un duc.
A noter qu'on connaît mal les troupes assignées à la défense du littoral occidental, et leur commandement, même si les fortifications (comme Caerwent ou Caernarfon) sont bien existantes.
1) Comes BritanniarumLe
Comes Britanniarum commandait aux
Comitatenses, l'armée mobile.
Pour mémoire, on retrouve sous ses ordres :
Victores iuniores Britanniciani
Primani iuniores
Secundani iuniores
Equites catafractarii iuniores
Equites scutarii Aureliaci
Equites Honoriani seniores
Equites stablesiani
Equites Syri
Equites Taifali Au moins deux de ces unités peuvent être identifiés comme à recrutement breton :
Victores iuniores Britanniciani Parfois identifiés comme les
Victores iuniores que l'on retrouve en Espagne.
Secundani iunioresL'hypothèse la plus populaire voudrait qu'il s'agisse de la
Secunda Britannica que l'on retrouve sous les ordres du
Magister equitum per Gallias.
On en reparlera plus loin.
2) Comes litoris Saxonici per BritanniamUn autre comte (?) avait la charge des troupes stationnées dans la série de forts assurant la défense du
litus saxonicum.
On retrouve sous son commandement des troupes de
limitanei :
Praepositus numeri Fortensium
Praepositus militum Tungrecanorum
Praepositus numeri Turnacensium
Praepositus equitum Dalmatarum Branodunensium
Praepositus equitum stablesianorum Gariannonensium
Tribunus cohortis primae Baetasiorum
Praefectus legionis secundae Augustae
Praepositus numeri Abulcorum
Praepositus numeri exploratorumCertaines de ses unités sont peut être les mêmes que mentionnés sous le commandement du
Comes Britanniarum, à savoir la
Secunda Augusta stationnée à Rutupiae/Richborough dans le Kent. Elle est connue dès le haut empire comme
Legio II Augusta Britannica et aurait donné naissance à plusieurs unités au bas empire.
Les
exploratores en qualité d'éclaireurs seraient plutôt des indigènes.
Les
Abulci stationnés à Anderita/Pevensey portent un nom d'origine brittonique, dérivé de *bulc, brèche, ou entaille, que l'on retrouve d'ailleurs dans le nom de l'épée mythique d'Arthur,
Caledfwlch en Gallois, "dure entaille". On les retrouve aussi sur le continent, Anderita étant probablement leur centre de recrutement.
3) Dux BritanniarumLe
dux commandait aux unités
limitanei stationnées dans le nord de la Bretagne, notamment sur le mur d'Hadrien. Certaines unités sont là encore peut être les mêmes que d'autres sous les ordres des deux
comes, ce n'est pas clair.
Les préfectures :
Praefectus legionis sextae
Praefectus equitum Dalmatarum
Praefectus equitum Crispianorum
Praefectus equitum catafractariorum
Praefectus numeri barcariorum Tigrisiensium
Praefectus numeri Nerviorum Dictensium
Praefectus numeri vigilum
Praefectus numeri exploratorum
Praefectus numeri directorum
Praefectus numeri defensorum
Praefectus numeri Solensium
Praefectus numeri Pacensium
Praefectus numeri Longovicanorum
Praefectus numeri supervenientium Petueriensium Les tribuns et préfets du mur :
Tribunus cohortis quartae Lingonum
Tribunus cohortis primae Cornoviorum
Praefectus alae primae Asturum
Tribunus cohortis primae Frixagorum
Praefectus alae Sabinianae
Praefectus alae secundae Asturum
Tribunus cohortis primae Batavorum
Tribunus cohortis primae Tungrorum
Tribunus cohortis quartae Gallorum
Tribunus cohortis primae Asturum
Tribunus cohortis secundae Dalmatarum
Tribunus cohortis primae Aeliae Dacorum
Praefectus alae Petrianae
Praefectus numeri Maurorum Aurelianorum
Tribunus cohortis secundae Lingonum
Tribunus cohortis primae Hispanorum
Tribunus cohortis secundae Thracum
Tribunus cohortis primae Aeliae classicae
Tribunus cohortis primae Morinorum
Tribunus cohortis tertiae Nerviorum
Cuneus Sarmatarum (no officer listed)
Praefectus alae primae Herculeae
Tribunus cohortis sextae NerviorumLes
exploratores,
directores,
vigiles sont des unités d'éclaireurs, et donc très probablement à recrutement indigène : peut-être des hommes provenant des tribus bretonnes alliées à Rome comme les
Votadini.
Les
Superventores Petuarienses proviennent du fort de
Petuaria, défendant l'estuaire de l'Humber. Il s'agît peut-être de troupes de marine chargés de repousser les raids des pirates pictes et germaniques et de surveiller la côte du Yorkshire actuel.
La
Cohors Prima Cornoviorum était recrutée chez les
Cornovii de la région de Wroxeter/Viroconium, centre de pouvoir d'ailleurs très important à la période sub-romaine, capitale du royaume du Powys ou de Pengwern.
II - Les troupes bretonnes sur le continentDes unités à recrutement insulaire étaient naturellement affectées ailleurs dans l'empire, et suite à l'usurpation de Maxime les soldats qui débarquèrent avec lui en 383 ne revinrent jamais dans l'île. Des problèmes dans les révisions de la
Notitia font qu'on rencontre certaines unités à la fois en Bretagne et sur le continent.
1) Dux tractus Armoricani et NervicaniLa tradition veut que les Bretons de l'armée de Maxime furent installés dans le nord de la Gaule. Ils y auraient renforcé le dispositif de défense du
tractus armoricanus. Cependant, mis à part peut-être les
Superventores de Nantes si l'on les considère comme liés aux
Superventores Petuarienses que l'on a rencontré en Bretagne, aucune des unités ne peut être déterminée comme bretonne. Certes, il est fort possible que des Bretons aient été recrutés par la suite au sein de ces unités après leur installation en Armorique. Les unités armoricaines, des
limitanei en charge de la défense des côtes gauloises contre les pirates germaniques et irlandais, semblent avoir été retirées de leurs garnisons et promues au statut de
pseudocomitatenses, rejoignant l'armée de manœuvre. On peut supposer que des Bretons reprirent leurs postes, comme l'indique l'occupation continue de forts du
tractus comme Alet ou le Coz-Yaudet, du IVe au VIe siècle.
On retrouve aussi des colonies à l'intérieur des terres attribuables à des lètes germaniques mais aussi probablement aux Bretons pour la
civitas des Ossismes, dès la fin du IIIe siècle. Ces établissements ne sont pas répertories dans la
Notitia Dignitatum. Ils permettaient probablement de compléter le système de défense du
tractus armoricanus, et de réserves de recrutement.
On citera pour mémoire les troupes du
dux du tractus armoricain :
Tribunus cohortis primae novae Armoricanae
Praefectus militum Carronensium
Praefectus militum Maurorum Benetorum
Praefectus militum Maurorum Osismiacorum
Praefectus militum superventorum
Praefectus militum Martensium
Praefectus militum primae Flaviae
Praefectus militum Ursariensium
Praefectus militum Dalmatarum
Praefectus militum Grannonensium 2) Magister equitum per GalliasComme évoqué précédemment on retrouve sous ses ordres les unités du
tractus armoricanus. Il commande à des unités de cavalerie et d'infanterie.
Voici les troupes identifiables comme bretonnes.
Britones - Auxilia Palatina
Le nom ethnique est évident.
Atecotti Honoriani seniores - Auxilia Palatina
Les
Atecotti ne sont pas "bretons" à proprement parler, mais probablement irlandais. Léon Fleuriot les faisait venir du nord de la Bretagne, et explique leur nom par un celtique *Ate (préfixe d'intensité) et *Cot, en breton
coz, dans le sens de "vieux", "ancien" ; ce qui donne les "très anciens".
Les théories plus récentes en font des Irlandais, et explique leur nom par une latinisation d'un gaélique
Aitheachtuatha, "tribu payant tribut". Le sens de ce terme est proche de celui de
Deisi, "vassaux", qui désignent des tribus soumises et considérées comme inférieures par les autres Gaéls. Des
Deisi, expulsés d'Irlande, s'installèrent ainsi dans le sud du Pays de Galles et s'allièrent par la suite aux Romains de Maximus Magnus.
C'est probablement un phénomène similaire qui poussa les
Atecotti à la piraterie, chassés suite aux événements politiques irlandais. On les retrouve impliqués dans la série d'attaques contre la Bretagne, aux côtés des Pictes et des autres
Scotti.
Il s'agit donc plutôt d'un terme générique désignant un certain type de tribu plutôt qu'une tribu en particulier, et certains d'entre eux étaient peut-être installés en
Britannia, dont les
Deisi du Dyfed.
Il peut s'agir de prisonniers de guerre ou
deditices, mais aussi de barbares ayant cherché emploi auprès de Rome. La tradition irlandaise parle ainsi de l'une des versions de la mort du haut-roi Niall Noigiallach, tué dans les Alpes en combattant pour les Romains, après avoir passé de longues années à se battre contre eux en
Britannia.
On retrouve des
Scotti, ou Irlandais, dans les écrits de Saint-Jérôme qui les aurait rencontré aux abords de Trèves, au IVe siècle, et leur prête une réputation de sauvagerie et même de cannibalisme. Il s'agit peut être d'une des unités d'
Atecotti :
Que vous dirai-je des autres nations, puisque moi-même, étant encore jeune, j’ai vu des Scotti dans la Gaule, qui, pouvant se nourrir de porcs et d’autres animaux dans les forêts, aimaient mieux couper les fesses des jeunes garçons, et les tétons des jeunes filles! C’étaient pour eux les mets les plus friands.Saint-Jérôme, Lettres.
Atecotti iuniores Gallicani - Auxilia Palatina
Ces
Atecotti sont dits
Gallicani, peut-être parce que issus d'une communauté installée en Gaule ?
Secundani Britones ou
Secunda Britannica - Legio Comitatenses
Détaillons maintenant un peu l'historique de la
Secunda Britannica que nous avons déjà rencontré en Bretagne. Elle semble issue de la fragmentation de la
Legio II Augusta Britannica que l'on retrouve à Brittenheim ou Bretzenheim,
villa Britannica près de Mayence au haut empire.
Elle était notamment basée à Rutupis (Richborough) sur le
litus saxonicum, et il est intéressant de noter que l'usurpateur Maxime est qualifié par Orose de
Rutupinus latro.
A noter que la vie de saint Dalmas mentionne une
Legio Britannica vers 533 dans la région d'Orléans, peut être une survivance de cette unité d'après Léon Fleuriot.
Praesidienses - Legio Comitatenses
Unité probablement nommée d'après le fort de
Praesidium dans le nord de la Bretagne insulaire, passée sur le continent avec Maxime ou Stilicho.
Anderetiani - Legio Pseudocomitatenses
Leur nom évoque irrésistiblement celui du fort d'Anderita/Pevensey sur littoral saxon, peut être y était ils recrutés à l'instar des
Abulci, mais il peut aussi être expliqué selon Léon Fleuriot par un préfixe intensif *ante- et un radical *ret, "course", ce seraient donc les "super-coureurs".
Ils auraient servi le
Dux Mogontiacensis (en Germanie) avant de rejoindre l'armée de campagne.
On retrouve également une
classis Anderetianorum sur la Seine, et on connaît entre autres par Végèce la valeur des marins bretons dans la flotte romaine.
Abulci - Legio Pseudocomitatenses
On a déjà rencontré le
numerus Abulcorum à Anderita/Pevensey sur le
litus saxonicum et leur centre de recrutement, et par ailleurs expliqué leur nom, bien brittonique.
A noter que les
Exploratores et les
Defensores seniores sont aussi pour certains des troupes venus de Bretagne (entre autres).
3) Comes Hispenias Des différentes unités sous les ordres du
Magister Peditum, on retrouve sous le commandement du
comes Hispenias :
Invicti iuniores Britones - Auxilia Palatina
Exculcatores iuniores Britanniciani - Auxilia Palatina
Ces derniers sont mentionnés seulement comme
Exculcatores iuniores pour l'Ibérie mais on peut penser qu'il s'agit de la même unité.
4) Comes Illyricum & Magister Militum per IllyricumL'Illyrie vu en 388 la défaite de Maximus Magnus contre Théodose, empereur d'Orient, et certaines des troupes de l'usurpateur semblent avoir été affectées dans la province dès lors.
Seguntienses - Auxilia Palatina
Cette unité formait vraisemblablement le fer de lance de l'armée de Maxime. Ils venaient sans doute du fort de Segontium, actuellement Caernarvon dans le nord du Pays de Galles. La tradition brittonique fait partir l'armée de Maxime, ou plutôt Macsen Wledig tel qu'il est désigné chez les Gallois, de cette région.
Latini - Auxilia Palatina
Soazick Kerneis évoque à leur sujet une possible corruption du nom des Liathain,
Deisi irlandais installés dans le Dyfed et alliés de Maxime. Il s'agît donc peut-être d'insulaires, aucune certitude à leur sujet.
Sous les ordres du
Magister Militum per Illyricum dans la
Pars Orientem on retrouve :
Britones seniores - Legio Palatina
Leur nom mentionne explicitement leur origine.
Atecotti - Auxilia Palatina
Leur nom et origine ont été explicités ci-dessus.
4) Magister Peditum per ItaliaOn retrouve en Italie :
Atecotti Honoriani iuniores - Auxilia Palatina
Leur nom et origine a été expliquée précédemment.
Sabini - Auxilia Palatina
Selon Soazick Kerneis, peut être une corruption d'un original
Sabrini, désignant des Bretons du bord de la Severn.
III - Les Bretons dans la Pars OrientemOn retrouve plusieurs unités bretonnes en Orient. Il est possible que certaines d'entre elles soient d'anciennes troupes de Maxime, envoyées au loin suite à leur soutien envers l'usurpateur.
Ala quarta BritonumMentionnés sous le commandement du
Dux Thebaidos en Egypte.
Les unités stationnées en Illyrie ont déjà été mentionnées.
SOURCES :http://www.ne.jp/asahi/luke/ueda-sarson ... terns.htmlLes Origines de la Bretagne, Léon Fleuriot.
Les Celtiques: servitude et grandeur des auxiliaires bretons sous l'Empire Romain, Soazick Kerneis (voir la fiche de lecture :
viewtopic.php?f=39&t=167)
Benjamin Franckaert