Salut, Damianus! Voici déjà quelques considérations en rapport avec ta question. Mais, tu t'en doutes, le sujet est vaste...
Coupes, bols et gobelets. : Boire aux temps de l’Antiquité Tardive.Première partie
Répondre à cette question n’est pas facile, et je devrai y répondre en plusieurs étapes, ce qui est d’ailleurs la raison d’être de ce sujet.
Tout d’abord il me semble utile d’établir la distinction entre coupe et gobelet et leurs usages respectifs. Sans vouloir refaire tout l’historique de ces deux types de récipients pas toujours faciles à distinguer et qui durant des siècles se sont côtoyés dans les services de table, je pense nécessaire de remonter à leurs dénominations latines.
Le gobelet se nommait « Pocillum », et parfois « Pocullum ». On le considère comme un vase à boire de forme généralement haute et étroite à l’ouverture plus ou moins refermée. La coupe, c’est « Pocullum » et parfois « Paropsis ». Donc parfois le même ou presque même vocable que le gobelet, Mais parfois aussi un vocable qui pourrait induire la possibilité d’une utilisation autre que la consommation de boissons. Le bol se dit parfois « calix » vocable qui pour nous est le calice, autre vase à boire, que l’on connaît parfois sous forme de « coupe à pied. Et le bol se nomme aussi « panna ». Et encore pour certaines formes particulière « acetabullum » littéralement « coupelle à sauces acides ou au vinaigre ».
Ceci ne nous avance guère, et nous devons nous rappeler cela nous rappelle qu’il est bien difficile d’appréhender dans leurs détails les habitudes alimentaires des Romains et gallo-romains, une fois lues les recettes d’Apicius et quelques belles descriptions de repas, parfois orgiaques tels que par exemple l’envoûtante et sombre description du banquet de Trimalcion écrite par Pétrone et magnifiquement mise en images par Fellini.
Il existe une multitude de formes de bols et coupes gallo-romaines, dont nous ne connaissons pas l’exacte destination. On ne consommait pas que des boissons alcoolisées, de loin s’en faut. Les laitages étaient à l’honneur sous diverses formes, et il n’est pas impossibles que les infusions fussent courantes, le grand nombre de bouilloires (cruches à bec tréflé) découvertes en fouilles le laissent suggérer.
J’émets toutefois l’hypothèse que l’usage de la coupe, tel que nous l’imaginons aujourd’hui, est intimement lié au rite du banquet ou repas classique romain, qui se prend allongé sur les banquettes du triclinium. Quelle que soit la position prise au cours d’un tel événement, il sera plus facile et plus élégant de se servir d’une coupe, qu’elle soit munie ou non d’un pied, plutôt que d’un gobelet haut et étroit qui nécessiterai de lever le coude et renverser la tête pour le vider. Ceci peut être corroboré par les assortiments de vaisselle précieuse du haut-empire que nous connaissons qui comprennent de nombreuses coupes souvent très élaborées, en verre ou en métaux précieux, qui se transmettront pendant des générations, mais quelquefois aussi en céramique, alors que le gobelet reste généralement plus humble dans son exécution et gobelet semble avoir été réservé à des usages plus populaires ou militaires, puisqu’il figurait notamment dans l’équipement personnel des légionnaires.
L’histoire de la coupe semble suivre les destinées de l’Empire et le sentiment de « Romanitas » au cours des siècles. Pendant longtemps la citoyenneté romaine fut un honneur, et les membres de cette classe se rencontraient souvent au sein de leurs sodalités ou scholae, preuve en est le nombre d’inscriptions issues de ces groupements. L’Edit de Caracalla, accordant la citoyenneté à tous les habitants libres de l’Empire sonnera le glas de ces institutions et le début du déclin de l’idée de Romanité comme celui de l’appartenance à la Cité. De nombreux rites ont commencé à se perdre, simplement parce que les légataires de la tradition romaine se sont trouvé dilués dans une société qui se militarisait aussi bien qu’elle se « barbarisait ». On assiste alors à une résurgence des vieilles habitudes gauloises et à un apport germanique certain. C’est le IIIème siècle, c’est l’explosion de la production des gobelets qui deviennent omniprésents, signe certain de modifications profondes des habitudes alimentaires. Le gobelet, autrefois accessoire indispensable de la vie des camps et des auberges de route, des quartiers populaires habités par les « gentils » devient omniprésent, et parallèlement la production de la sigillée rouge décline, le répertoire des « coupes » s’appauvrit drastiquement. Je vais tenter une recherche plus précise sur les types en circulation aux IVème et Vème siècles, et notamment sur les types métalliques, étant pour le moment fort dépourvu de documentation allant dans ce sens.
A partir du temps de Constantin, une fois les événements de la fin du IIIème siècle passés, la production des céramiques s’est trouvée sérieusement bouleversée. De grands groupes d’ateliers, comme ceux de Lezoux ou de Gaule de l’Est ont considérablement réduit leurs activités, voire carrément disparu, et d’autres groupes ont pris une grande importance. Les classes moyennes, gros clients traditionnels de leur production sigillée de haut de gamme ont fait les frais des grandes fractures sociales et de la pression de l’impôt durant ce que l’on décrit comme les temps des monarchies et de l’anarchie militaire. Les derniers garants de la Romanitas sont pratiquement confinés dans la seule classe sénatoriale qui s’étendra d’ailleurs notablement, surtout après l’abolition de l’ordre équestre. Eux seuls, pratiquement, continueront à pratiquer le rite du repas couché, et eux seuls probablement continueront à boire le vin dans des coupes de verre ou de métaux précieux. Probablement ai-je précisé, parce que les découvertes de calices ou de coupes à boire caractérisées se font rares pour cette époque. En fait dès la fin du Vème siècle, ce sont surtout les verreries mérovingiennes plus que les coupes métalliques qui seront l’apanage des tables luxueuses. La coupe populaire, pour autant qu’elle ait encore eu un sens, est depuis longtemps devenue une sorte de gobelet légèrement évasé pour la très grande majorité de la population, qu’elle soit militaire ou civile.
Voilà donc pour la petite histoire. Le gobelet est omniprésent aux IVème et Vème siècles, jusque vers 450 environ. La coupe, si elle existe encore au sens où nous l’entendons, est devenue très rare, et de l’usage réel des bols retrouvés sur les sites tardifs, nous ne savons pas grand-chose. Qu’y consommait-on ? laitages, infusions, bière, vin, potages ? le mystère me semble bien loin d’être résolu. Il existe toutefois une production des ateliers de Trèves et de Cologne, dans le style des gobelets noirs à décors de barbotine blanche et portant des maximes à boire ( (REPLEME, MISCEMI, VIVAS, VALETE, BIBITE, etc…) une production de « coupes « sortes de bols carénés portant de telles maximes, de toute évidence liées à la consommation du vin. Mais cette production est totalement minoritaire, pour ne pas dire anecdotique, et en plus difficilement datable. On y reviendra sur le chapitre des gobelets de Trèves.
Les styles de gobelets :
De l’extraordinaire développement quantitatif et stylistique des gobelets au IIIème siècle, deux types resteront nettement dominants aux IVème et Vème siècles, chacun avec leurs évolutions propres qui finiront par se dissoudre sans les styles mérovingiens.
Le groupe le plus important est constitué de récipients à panse globulaire et à haut col, le type « Niederbieber 33 » pour les spécialistes. Ce gobelet est une évolution de plusieurs types plus anciens et apparaît sous sa forme définitive dans la seconde moitié du IIème siècle, pour ensuite n’évoluer qu’assez lentement vers une forme de plus en plus effilée et avec un col de plus en plus long
Ces premiers exemplaires comportent un col assez court et la forme générale est plutôt trapue, bon nombre d’entre eux comportant des dépressions circulaires ou allongées. Dés le IIIème siècle, les cols vont commencer à s’allonger et le profil général s’affinera. Cette est notamment la période d’efflorescence du style de Trèves, ces récipients à vernis gris ou noir métallescent portant un décor à la barbotine blanche et souvent une maxime à boire. Tel que cet exemplaire du IIIème siècle
Vers la fin du siècle, la hauteur du col dépassera généralement le tiers de la hauteur totale pour toutes les productions de gobelets à panse globulaire, qu’ils soient lisses ou à dépressions, avec ou sans décor à la barbotine. A ce propos, une controverse existe depuis longtemps quant à la persistance de la production de Trèves. Il fut un temps considéré que le sac de la ville par les Alamans vers 275-276 avait mis un terme à l’activité de ces ateliers. Cependant les nombreuses découvertes dans des sépultures ou de contenants de trésors monétaires bien datés tendent aujourd’hui à envisager très sérieusement la poursuite de cette production jusqu’au Nième saccage de la ville, par les Francs cette fois, vers 360.
Quoi qu’il en soit, si une incertitude demeure quant à la persistance de cette production trévire, ce type de gobelet aura la vie dure. Il connut un tel succès que de très nombreux ateliers se lancèrent dans cette production. Pour les plus connus, ce sont les ateliers savoyards, bien représentés dans les sépultures d’Yverdon, et omniprésents dans le quart sud-est de la France actuelle, et aussi le groupe de Jaulges-Villiers-Vineux (près d’Auxerre) qui inonda de ses productions tous les pays situés au Nord de la Loire, jusque dans le Sud de l’Angleterre.
D’innombrables ateliers locaux imitèrent également cette forme, parfois selon les techniques du revêtement argileux grésé, parfois en « terra nigra » polie. Dans toutes ces productions, les dépressions sont très fréquentes, parfois systématiques pour les types dans décor de barbotine.
Un gobelet à décor de barbotine issu des ateliers de Cologne découvert à Amiens ( IVème siècle)Un gobelet à dépressions d’un atelier secondaire de Rhénanie. Son exécution en technique sombre « terra nigra »cuite à relativement basse température dénote une origine issue d’un atelier secondaire. Deux gobelets sans décor ni dépressions découvert dans le Nord de la France. leurs styles sont très tardifs, peut-être du IVème siècle. L’origine de celui de gauche est difficilement déterminable, celui de droite d’après ses coloris et ses guillochis, pourrait provenir du groupe de Jaulges-Villiers-Vineux. Il est exceptionnel par le fait qu’il ne comporte pas de dépressions.
Exécution très tardive aussi pour cet exemplaire d’origine inconnue. La forme, ainsi que celle de l’écuelle qui l’accompagne, leur exécution générale laissent suggérer une production de la première moitié du Vème siècle.
Et pour terminer ce chapitre, un très bel ensemble du milieu du IVème siècle provenant de la Nécropole du Lazenay. à Bourges, publié lors du congrès de la SFECAG ( Société Française d’Etude de la Céramique Antique en Gaule) 2007 à Langres. Distribués à raison d’un exemplaire par tombe, on a là une belle illustration d’un ensemble régional. Quatre gobelets à haut col lisses (à l’arrière) sont parfaitement dans l’air du temps, bien qu’issus d’ateleirs régionaux. Les vases globulaires et la jatte basse sont d’inspiration plus régionales, mais toujours très « mode». La hauteur approximative des gobelets est de 15 cm pur une capacité de 5 dl. environ.
Les gobelets à haut col et panse globulaire passeront progressivement de mode durant la première moitié du Vème siècle. Dans quelques ateliers, ils redeviendront plus trapus et dériveront vers des types annonçant le mérovingien, mais cette évolution est mal connue faute de découvertes bien datées. Les types très effilés disparaîtront sans succession connue.
Après ce panorama, il faut toutefois se garder de considérer ces types comme universels. Les gobelets « tulipiformes » qui seront tout bientôt décris dans un prochain envoi forment eux-aussi un groupe très important et les deux types se côtoieront constamment. Après les considérations sur le coupes, ou pourra aussi se demander si la forme et la capacité des gobelets étaient en relation avec la boisson consommée. Peut-être qu’un jour des analyses décèleront des restes organiques pris dans l’argile, car sans cela nous sommes condamnés à des spéculations et des palabres certes passionnantes, mais hélas sans grand espoir de conclusions solides…
Valete!
Illanua