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Comme il ne fait aucun doute que l’Orient est le meilleur candidat à la succession de l’empire Romain (à sa propre succession ?) et ce, pour la plupart des historiens en passant par le Pape et Dark Vador, je ne reviendrai pas sur les nombreux, infinis et incommensurables arguments que j’ai pu développer ailleurs que sur ce forum, salués et reconnus de tous dans le périmètre de mon esprit fécond, bien las que je suis de prolonger cette discussion… Minute papillon; blague à part!
A moins que… Et si j’essayai justement de m’expliquer sur les raisons qui me feraient placer la fin de l’empire romain « antique » de la date traditionnellement admise en 476, en Occident, ailleurs et bien plus loin, à l’Orient.
L’exercice est-il d’ailleurs concevable ? A mon humble niveau, je ne suis pas en état d’embrasser sérieusement les multiples facteurs qui font qu’une société ou une civilisation entière se transforme, emprunte telle ou telle voie. A peine puis-je constater à travers les regards croisés de chercheurs et spécialistes, les destins particuliers et uniques des deux parties d’un empire en profonde mutation.
Cependant, il m’est permit de faire des supputations sur la base de ce que je sais ou croit connaitre de l’armée romaine de l’époque comme témoin de ces transformations. Un microcosme peut-il résumer les grands mouvements de l’Histoire ? Non, indéniablement, mais il s‘agit toujours d’une optique…
En 476, la déposition des ornements impériaux et l’abdication de Romulus Augustule, marque la fin de l’Empire en Occident. Marque – elle pour autant la fin de l’armée romaine ? En toute logique oui, en Occident. Sans doute me dira-t-on que l’armée romaine n’existait déjà plus, avant cette date… Merci pour elle, et que dire de l’armée romaine en Orient. Cesse-t-elle d’être romaine comme ça, parceque l’Occident se mouche ?
Alors bien sûr beaucoup d’inconnues subsistent sur le devenir de l’armée romaine au sein des royaumes germaniques, autant de questions que d’hypothèses qui confinent parfois au particularisme local.
Heureusement, il n’en va pas de même en Orient, où les choses sont déjà un peu plus certaines (qui va me dire que l’Orient n’a rien à hériter de l’empire romain ici ?). Et bizarrement, Etonnement, que se passe-t’il pour l’armée romaine après 476 ? Rien ou pour ainsi dire, aucune réforme, aucune transformation majeure. L’armée romaine continue son petit bonhomme de chemin dans les cadres institutionnels qui sont les siens. Anastase Ier (491 – 518) ayant beau jeu de conserver la tradition quand celle-ci est mise à mal, à force de décret comme l’inscription de Pergé récemment étudiée, le démontre encore.
Il faut attendre Justinien Ier (527 – 565) chantre de l’empire Romain universel (paradoxe ?) pour voir l’armée romaine s’écarter de l’héritage romano-tardif tel qu’instauré à la fin du IIIe siècle. Que se passe-t’il dans le courant de ce règne ? Une évolution stratégique de la politique militaire de Justinien qui tend d’un côté vers une économie de moyens humains et matériels, et de l’autre, à une redéfinition des priorités défensives. Le Limes oriental subit une série de réformes qui voit une grande partie des Limitanei devenus obsolètes, démobilisés ou mutées, et les forces des Comitatenses de l’armée centrale passer sous contrôle des Ducs pour renforcer les frontières défaillantes. Entre les années 528 et 536, le système défensif de l’Arménie romaine fait office de laboratoire des transformations en cours. Le nombre de forteresses se resserre ainsi que les contingents actifs. Un Magister Militum pour l’Arménie est nouvellement désigné et commande en chef directement à Theodosioupolis une armée à faible effectif mais rapidement opérationnelle. La chaine hiérarchique se simplifie d’autant, ainsi que le dispositif stratégique global. 5 Ducs pour 11 garnisons là où jadis il n’en fallait pas moins de 26, dirigent aussi bien les unités frontalières restantes que les Comitatenses détachés dans les provinces.
Peu après, le réseau défensif proprement oriental se calque sur celui de l’Arménie en réduisant à son tour le nombre de ses places fortes en assimilant de la même manière des détachements des armées d’accompagnement aux camps des Limitanei subsistant. En réalité, la disparition progressive de l’appellation officielle du corps des Limitanei n’est pas la disparition de la couverture militaire des frontières de l’empire, mais l’abolition terminale de l’immense système de défense initié par la Tétrarchie. De même, la régionalisation des Magistri et des forces centrales est une altération du haut commandement en opposition avec les mesures attribuées à Constantin Ier.
Sous Justinien Ier les Comitatenses sont décentralisés pour un rôle de protection régional qui remédie à l’affaiblissement des Limitanei. Particulièrement, les légions palatines qui les composent ne gravitent plus dans la proche périphérie du gouvernement central et sont postés à proximité des nouvelles frontières à l’exemple des Lanciarii Iuniores déplacés de Constantinople vers la Mésie face à la menace Avars en 556 – 557. Les troupes d’élites sont encore transportées vers les points chauds que représentent l’Afrique nouvellement reconquise et le front Italien. Bien que le latin reste la langue militaire par excellence, le terme même de « légion » n’est plus tout à fait familier à Procope de Césarée lorsqu’il évoque l’existence d’une unité légionnaire basée à Mélitène en Arménie mineure – Cappadoce –. Les troupes contemporaines de Justinien n’emploient que de manière très rare le dénominatif au sein des Comitatenses, quand bien même auraient-elle une antériorité marquée. Entre la fin du Ve siècle et le VIe siècle, l’épithète le plus couramment rencontré est celui de « Numerus » qui introduit de plus en plus les dénominations des unités militaires en activités au sein des forces Comitatenses et marque dans l’usage plus que par décret la disparition progressive de la légion au sein de ce corps d’armée.
Au terme des réformes justiniennes, l’armée d’Orient solde moins de 150 000 hommes, un tiers de l’ensemble des armées du début du IVe siècle. La défaite d’Andrinople contre les Goths en 378 n’a jamais consacré la fin de l’armée tardo-romaine, tout comme la déposition même symbolique, du dernier empereur en Occident en 476, n’a jamais été la date butoir de la fin de l’empire romain. Aussi, les légions et Auxilia perdurent longtemps dans l’empire d’Orient, mais c’est cette évolution du courant du VIe siècle qui marque fondamentalement le coup d’arrêt des conceptions militaires, aussi bien d’ordre stratégique, structurelles qu’institutionnelles élaborées dans l’Antiquité tardive des IVe – Ve siècles. In fine, ce sont bel et bien ces dispositions nouvelles qui amorcent la forme prochaine d’une armée cette fois véritablement « byzantine ».
De justinien Ier il nous faut encore passer à Héraclius (610 – 641) dont le règne définitif en termine avec la conception Antique de l’Empire romain et de son armée. Là aussi que se passe-t’il concrètement ? Ce n’est pas le passage progressif de l’infanterie à la cavalerie comme arme déterminante qui marque réellement un tournant, ni même cette spirale d’autodestruction qui vient saper pendant 25 ans les deux grandes superpuissances de l’Antiquité qu’étaient l’Empire Romain et le Royaume Sassanide. C’est plutôt ce soubresaut final et cette alternance entre classicisme et nouveauté qui ouvre la voie à une nouvelle ère. On ne peut que penser à la tradition romaine quand on se penche sur les conditions d’accession au pouvoir d’Heraclius dans la longue suite de ces « usurpations » réussies qui se terminent en acclamations du peuple et du Sénat, de cette périphérie qui influe sur le centre du pouvoir (ici l’Afrique occidentale sur Constantinople) La tradition romaine une fois de plus pour un empereur-soldat comme on en avait pas vu depuis la fin du IVe siècle. Des campagnes militaires aussi désespérées que brillantes que ne renierait pas un Trajan. Une discipline de fer digne des Haut-faits de la République. Mais aussi une fin déclarée avec une victoire absolue, plus espérée qu’attendue sur l’Empire Persan, le titre de Basileus donné pour la première fois, le cérémoniel religieux entérinant les règnes. Enfin l’avènement de temps nouveaux avec l’’irruption des armées arabes dans l’Empire d’Orient, la perte définitive de ses provinces les plus riches. L’islam en tant que troisième monothéisme inaugure le moyen-âge méditerranéen. La concentration et le repli du reste de l’Empire sur des terres essentiellement grecques entérinent la fin de l’universalisme romain traditionnel. La fin d’un empire multiethnique et cosmopolite, la coupure de fait entre l’Orient et l’Occident Méditerranéen vers une polarisation continentale. Le développement prochain des Thèmes et de leur fonctionnement achève l’héritage militaire romain. C’est donc bien au Yarmouk en 636 ou même dans les années 680 que l’empire romain Antique meurt pour laisser place à un empire romain pleinement médiéval: la période mésobyzantine ; Une autre Histoire. Notez que nous sommes bien loin de 476, à croire que d'autres y avaient déjà pensé.