LES FOURS A COUPOLE FIXE
Les précédents fours présentés, on l’a vu, présentent une couverture faite de tessons ou de tuiles. Ils sont très bien adaptés aux cuissons « oxydantes » c'est-à-dire à dominante claire.
Il existe un autre type de four, réservé à des cuissons bien particulières en atmosphère confinée.
Quel avantage ?
Quelles que soient les périodes, durant toute l’Antiquité, et également durant la Protohistoire celtique, et aussi le Haut Moyen-Age, on découvre de nombreuses céramiques grises ou noires lors de fouilles. Toutes ont subi une cuisson en atmosphère réductrice, qui nécessite un confinement.
Sur le principe, ce genre de cuisson provoque une « réduction » de l’oxyde de fer contenu dans les argiles, c'est-à-dire une extraction à chaud des molécules d’oxygène contenues dans les oxydes naturels (Fe2O3, ou Fe3O4, ou encore 2 (Fe2O3)h2O) qui sont de couleur rouge, ou jaune pour le dernier. Débarrassés de quelques atomes d’oxygène, ce matériau reste un oxyde, mais sous forme « monoxyde » FeO de couleur noire. Comme il est tout de même en quantité limitée dans les argiles (3 à 10%), celle-ci, une fois cuite, prend donc une couleur grise. Pour ce faire, il est nécessaire d’atteindre une température de 850 oC, et surtout de confiner l’atmosphère de cuisson jusqu’à l’absence d’oxygène dans le four, qui doit être remplacé par des gaz très voraces, méthane CH4 et surtout monoxyde de carbone CO. Ce dernier surtout, va littéralement « aspirer » les atomes d’oxygène contenus dans l’oxyde de fer, comme il le fait de l’hémoglobine du sang quand on le respire, avec les conséquences que l’on connaît.
Pour confiner cette atmosphère il suffit « simplement » de réduire le tirage du four à sa cheminée, le « registre » pour les initiés, et simultanément de suralimenter le feu. D’où production de monoxyde de carbone ensuite du mauvais tirage. Extérieurement cela se remarque par l’émission d’abondantes fumées noires assez pestilentielles. Mieux vaut éviter d’aller renifler de près…
Ce type de four est connu depuis l’âge du bronze moyen / final, et a été couramment utilisé en Grèce antique. Voici les plus belles représentations antiques que l’on connaisse de ce type de four. Ces plaquettes découvertes dans la région de Corinthe datent du VIème siècle avant notre ère. On remarque les flammes sortant de la cheminée, mais aussi refoulant du foyer. Représentation graphique peut-être, mais diablement conforme à la réalité, c’est exactement ce qui se passe pendant une réduction ! On remarque aussi une porte de chargement latérale munie d’un regard. Extraordinaire aussi la vue du bas, montrant un fournier travaillant son feu, le four vu en coupe !
Plus ancien encore est ce four découvert à Sévrier dans le lac d’Annecy. Datant de la fin du Brunze Moyen, vers 1100 av. J.-C.
Ici, pas de porte de chargement, mais une coupole que l’on pose d’un bloc sur la charge à cuire. Probablement un des plus anciens fours de potiers découverts en Europe, mais un système de couverture fragile qui disparaîtra assez rapidement, apparemment, au profit des coupoles fixes plus solides.
Sur le principe du fonctionnement fondamental, on reste donc toujours dans le même principe, un four à deux volumes, foyer et chambre de chauffe au sous-sol, et charge à cuire à l’étage. Ce sont les possibilités de réglage qui diffèrent.
Et dans la réalité, cela donne ceci :
Cette installation est mon four principal. Très souple de réglage, il permet toutes les variétés de cuissons antiques. Régime réducteur au moment de la prise de vue, température environ 950oC, la flamme d’échappement est dense, la fumée très noire.
Et ici, le même en grande réduction pour des pièces à revêtement argileux noirs. Le feu refoule violemment de l’alandier, le tirage est presque totalement fermé.
Sans rentrer dans les détails, on peut réaliser, outre les productions claires comme montré dans le sujet (la cuisson des céramiques tardo-antiques », deux types principaux de cuissons réductrices :
1.) La « commune sombre » qui comprend de nombreux types gaulois, antiques, tardo-antiques et haut-médiévaux, cuite à des températures allant de 750 à 900oC. Pour ces types. La réduction est longue, et le four totalement scellé, foyer compris, pour interdire toute entrée d’air atmosphérique. On y procède souvent à un enfumage, qui imprègne les argiles de carbone et donne une couleur noire à certaines d’entre-elles. La réduction améliore la tenue et la résistance mécanique des argiles. Elles est aussi relativement économe en combustibles. On peut utiliser ds bois morts ou de très mauvaise qualité, et pratiquer la phase finale aux écorces ou aux copeaux, ce qui permet le recyclage de nombreux déchets inutilisables autrement, en particulier si on procède à un enfumage final qui requiert précisément des combustibles humides. Une telle opération demande 12 heures de cuisson, puis 36 h. au moins d’enfumage en cours de refroidissement.
Donc on y trouve :
Les gauloise sombres.
Les commune gallo-romaines sombres, précoces et tardives.
La terra nigra précoce et tardive
Les mérovingiennes, les burgondes et certaines alamanes, en ce qui concerne les variantes à dominante sombre.
Une belle fournée en technique « terra nigra » en aperçu depuis la porte de chargement, située à l’opposé du foyer.
De la même fournée, le cliché ci-dessous à gauche montre bien que toutes les argiles ne sont pas égales devant la réduction et l’enfumage : le vase gaulois noir a très bien pris l’enfumage, alors que l’écuelle, en pâte calcaire ne l’a pas pris du tout et est restée grise clair. Les deux autres pièces sont des pichets ampuritains munis d’un revêtement calcaire prenant très peu l’enfumage. Et à droite un pot à cuire tardif gris du IVème /Vème Ce genre de céramique doit impérativement être cuit à relativement basse température pour conserver une certaine élasticité qui le fera résister aux échauffements lors des cuissons culinaires, la réduction améliore la résistance mécanique et l’étanchéité de l’argile.
Et ici, au premier plan, un groupe de pièces alamanes et mérovingiennes. ( Mes chats sont toujours extrêmement intrigués par les opérations de défournement. Toutes les pièces sont soigneusement reniflées, et si une pièce est suffisamment grande, l’un d’entre eux ne tardera pas à s’y loger, surtout si elle est encore tiède…)
2.) La céramique a revêtement argileux sombre, dite aussi « métallescente », qui comprend aussi la sigillée noire, et la plupart des DSP grises ou noires. La température est dans ce cas dictée par le point de vitrification des revêtements qui peut varier de 950 à 1100oC selon leurs qualités. Dans ces cas de figure, la durée de la réduction, qui est pratiquée en fin de cuisson, est déterminée par les dimensions du four et par le coloris de revêtement que l’on souhaite obtenir. En fin de réduction, on retire parfois la braise et réouvre très légèrement le tirage pour procéder à une réoxydation, ce qui colorera à nouveau les pâtes en rouge ou beige, mais laissera le revêtement, entretemps solidifié, avec les effets de la réduction.
Ici, le four à l’ouverture. De rouge sombre à brune, souvent tachetée, cette fournée a subi une réduction d’une heure, puis une réoxydation.
Cette pièce, issue d’une autre fournée, un gobelet de chasse de Colchester dont le revêtement noir est parfaitement vitrifié, a subi une réduction de 2 heures 30, puis réoxydation progressive légère. Le revêtement, relativement épais, est parfait. A droite, de la même fournée, une DSP. Son revêtement, beaucoup plus fin, laisse voir la pâte réoxydée rose claire par transparence.
On le voit donc, en jouant sur les argiles, sur les températures, sur les durées de réduction, les possibilités sont innombrables. Ceci explique l’immense variété de types, de techniques et de coloris que l’on peut retrouver dans la céramique antique et tardo-antique.
Je ferai d’ailleurs souvent référence à ce type de four, j’y réalise 75% de mes cuissons, Mais il faut dire que, se trouvant dans mon jardin à deux pas de la maison, cette proximité est bien pratique, les autres se trouvant à 200 m. et 2 km. respectivement…
L’exploitation de ce type de four se poursuivra jusqu’au XVIème siècle au moins en Europe continentale.
Voilà. Maintenant que, Chers Forumistes, vous savez presque tout sur le pourquoi et le comment des céramique claires et sombres, nous pourrons passer aux détails techniques et des présentations plus archéologiques et historiques.
A bientôt donc !