La chanson de Walther.
Je (Agarwaen...) viens de dévorer l'édition bilingue de la Chanson de Walther d'Aquitaine, parue il y a quelques semaines aux éditions ELLUG (Université de Grenoble). Et comme c'est une véritable mine d'information, il faut que je vous fasse profiter de ses passages les plus intéressants.
Pour situer ce texte, c'est une chanson de geste, actuellement datée du IXème siècle, rédigée dans un style abondamment nourrie de références aux auteurs antiques classiques, mais vraisemblablement fondée sur une geste germanique. Le récit semble se dérouler au Vème siècle : il s'articule autour de l'histoire de Hagen, un jeune noble franc, Walther et Hildegonde, respectivement fils et fille des rois des Aquitains et des Burgondes, retenus comme otages par Attila. Après que Hagen soit rentrés dans son pays, Walther et Hildegonde parviennent à s'échapper chargés d'un trésor d'anneaux d'or rouge. Alors qu'ils traversent la Francie, près de Worms, en direction de l'Aquitaine, le roi des francs Gunther entend parler de leur passage et décide de s'approprier leur trésor. Il s'élance à leur poursuite avec 12 guerriers, dont Hagen. La rencontre s'opère alors que Walther et Hildegonde se sont abrités dans une grotte pour se reposer, ce qui oblige les francs à affronter Walther un par un. S'ensuite une série de combats épiques et sanglants, jusqu'à ce que seuls restent vivant Hagen et le roi Gunther. Les fuyards s'enfuient, puis sont rattrapés, et nouveau combat. Tout le monde est blessé gravement, et chacun rentre chez soi couvert de gloire et d'honneur (sauf le roi, qui s'est montré veule en plus d'être cupide).
Bref, plein de combats pittoresques, et plein de détails à exploiter pour nous.
Au niveau du vocabulaire, on trouve pour l'épée surtout gladius, ensis et mucro, avec une fois spatha. On trouve une référence explicite au scramasax sous semispatha.. La lance est nommée surtout hasta, parfois hastile et une fois pilum. Le javelot et la javeline sont nommés hastile (difficile de faire la distinction entre les trois). Le bouclier est nommé clipeus, parma ou scutum. Le casque cassis ou galeas. On trouve une référence aux grèves sous ocreae. L'armure apparait sous tunica ou lorica (qualifiée une fois hamata), mais thorax est utilisé aussi dont une fois pour désigner sans ambiguité une broigne à écailles.
Maintenant, les passages :
v182-195 Iamque infra iactum teli congressus uterque Constiterat cuneus. tunc undique clamor ad auras Tollitur, horrendam confundunt classica vocem, Continuoque hastae volitant hinc indeque densae. Fraxinus et cornus ludum miscebat in unum, Fulminis inque modum cuspis vibrata micabat. Ac veluti boreae sub tempore nix glomerata Spargitur, haud aliter saevas iecere sagittas. Postremum cunctis utroque ex agmine pilis Absumptis manus ad mucronem vertitur omnis. Fulmineos promunt enses clipeosque revolvunt, Concurrunt acies demum pugnamque restaurant. Pectoribus partim rumpuntur pectora equorum, Sternitur et quaedam pars duro umbone virorum.
Déjà les deux formations, après s'être avancées à portée de javelot, s'étaient arrêtées. Alors, de toutes parts, une clameur s'élève dans les airs, les trompettes guerrières entremêlent leurs voix terrifiantes ; aussitôt, une grêle de javelots s'abat de tous cotés. Le frêne et le cornouiller se confondaient en une même danse, et les pointes qui s'agitaient étincellaient comme la foudre. Et de même qu'une masse de flocons se disperse sous le souffle de l'aquilon, de même on décochait des flèches meurtières. Enfin, quand les réserves de javelots sont de part et d'autre épuisées, chacun met la main à l'épée : on tire les glaives flamboyants et on relève les boucliers ; alors les troupes s'entrechoquent et reprennent le combat. Ici, des chevaux face à face se rombent le poitrail ; et là, une grande partie des soldats succombe sous la dure bosse des boucliers.
v263-265 Inprimis galeam regis tunicamque trilicem (Assero loricam fabrorum insigne ferentem) Diripe, bina dehinc mediocria scrinia tolle.
Tout d'abord, le casque et la tunique du roi - je veux dire, la cotte à la triple maille qui porte l'emblème des forgerons - dérobe-les.
v333-338 Ipseque lorica vestitus more gigantis Imposuit capiti rubras cum casside cristas Ingentesque ocreis suras complectitur aureis Et laevum femur ancipiti praecinxerat ense Atque alio dextrum pro ritu Pannoniarum; Is tamen ex una tantum dat vulnera parte.
Lui-même, vêtu de la cotte de mailles, ajuste sur sa tête, tel un géant, le casque au rouge panache, enserre ses mollets formidables dans des jambières dorées ; il ceint sa cuisse gauche d'un glaive à double tranchant et d'un autre sa cuisse droite, à la façon des Huns : mais celui-ci ne peut blesser que d'un coté.
v451-453 Et veluti pugnae certum per membra paratum: Aere etenim penitus fuerat, rex inclite, cinctus Gesserat et scutum gradiens hastamque coruscam.
Il était, de toute évidence, armé de pied en cap comme pour une bataille : car il était, ô roi illustre,entièrement bardé d'airain et, tout en marchant, portait un bouclier et une lance étincelante.
v481-482 «Ne tardate, viri, praecingite corpora ferro Fortia, squamosus thorax iam terga recondat.»
"Ne tardez pas, guerriers, couvrez de fer votre corps courageux, et cachez désormais votre dos sous une cuirasse écailleuse."
v770-772 «Attemptabo quidem, quid sis», Ekivrid ait, ac mox Ferratam cornum graviter iacit. Illa retorto Emicat amento; quam durus fregerat umbo.
« Certainement j'essaierai », répliqua Ekefried, « de voir ce que tu es. » Et aussitôt il jette avec force le cornouiller armé de fer ; la courroie se déroule et le javelot jaillit, mais brise son élan sur la dure bosse du bouclier.
v776-777 Lancea taurino contextum tergore lignum Diffidit ac tunicam scindens pulmone resedit.
La lance fendit le bois revêtu de cuir de taureau et déchira la cotte de mailles avant de s'arrêter dans les poumons.
v798 Audi consilium: parmam deponito pictam!
Ecoute mon conseil : dépose ton bouclier orné de peintures.
v814-815 Tu clavum umbonis studeas retinere, sinistra, Atque ebori digitos circumfer glutine fixos!
Et toi, ma main gauche, applique toi à tenir ferme la poignée du bouclier, et fixe comme avec de la colle tes doigts autour de l'ivoire !
v908-911 At illum Alpharides fixa gladio petit ocius hasta Et mediam clipei dempsit vasto impete partem, Hamatam resecans loricam atque ilia nudans.
Mais, plus rapide, l'Alphéride [= Walther, fils d'Alpher] plante sa lance en terre, tire son glaive et, d'un coup terrible, arrache à son adversaire la moitié de son bouclier, déchire sa cotte aux mailles serrées et fait jaillir ses entrailles.
v918-919 Venit et ancipitem vibravit in ora bipennem (Istius ergo modi Francis tunc arma fuere).
Il arriva et balança en direction de sa tête sa hache à double tranchant (car les Francs se servaient à cette époque d'armes de cette sorte).
v965-966 Et nisi duratis Wielandia fabrica giris Obstaret, spisso penetraverit ilia ligno.
Et si les anneaux durcis à la forge de Wieland ne l'avaient pas arrêtée [la lance], son bois épais aurait pénétré ses entrailles.
v1031-1037 Sed Trogus quamvis de vulnere lassus, Mente tamen fervens saxum circumspicit ingens, Quod rapiens subito obnixum contorsit in hostem Et proprium a summo clipeum fidit usque deorsum. Sed retinet fractum pellis superaddita lignum. Moxque genu posito viridem vacuaverat aedem Atque ardens animis vibratu terruit auras,
Cependant, Trogus, affaibli par sa blessure mais le courage toujours fougueux, repéra un énorme rocher que, soudain, il ramassa et projeta contre son adversaire inébranlable, écrasant du haut jusqu'en bas son propre bouclier, dont le revêtement de peau retint cependant les fragments de bois. Puis, quoique à genoux, il tira le glaive de son fourreau vert et, plein d'une ardeur effrayante, le brandit dans les airs.
v1191-1194 Aggreditur iuvenis caesos spoliarier armis Armorumque habitu, tunicas et cetera linquens; Armillas tantum, cum bullis baltea et enses, Loricas quoque cum galeis detraxerat ollis.
Le jeune Walther entreprit de dépouiller les cadavres de leurs armes et de leurs armures, laissant de coté les tuniques et les autres vêtements, et leur retirant seulement les bracelets, les baudriers cloutés et les glaives, ainsi que les cuirasses et les casques.
v1269-1271 Excusare nequis, quin me tunc affore nosses. Cuius si facies latuit, tamen arma videbas Nota satis habituque virum rescire valebas.
Tu ne peux t'excuser en prétendant que tu ne savais pas que je serais là, car si mon visage demeurait dissimulé, du moins voyais-tu mes armes, assez connues de toi, et tu étais capable de reconnaître l'homme à sa contenance.
v1287-1298 Primus maligenam collectis viribus hastam Direxit Hagano disrupta pace. Sed illam Turbine terribilem tanto et stridore volantem Alpharides semet cernens tolerare nequire, Sollers obliqui delusit tegmine scuti: Nam veniens clipeo sic est ceu marmore levi Excussa et collem vehementer sauciat usque Ad clavos infixa solo. Tunc pectore magno, Sed modica vi fraxineum hastile superbus Iecit Guntharius, volitans quod adhaesit in ima Waltharii parma; quam mox dum concutit ipse, Excidit ignavum de ligni vulnere ferrum.
Rompant la paix le premier, Hagen rassemble ses forces et darde sa lance en bois de pommier : elle vole, terrible, elle tournoie et elle siffle ; comme l'Alphéride comprend qu'il ne pourra soutenir le choc, il incline son bouclier et la fait adroitement glisser à sa surface, si bien qu'en venant à sa rencontre, elle est repoussée comme sur du marbre lisse, frappe avec violence la colline et s'enfonce dans le sol jusqu'aux clous. Alors, d'un coeur vaillant, mais avec une force médiocre, l'orgueilleux Gunther jeta la hampe de frêne : en volant elle alla s'accrocher au bas du bouclier de Walther qui, en le secouant, fit aussitôt tomber le fer impuissant du bois blessé.
v1308-1310 Quandoquidem brevibus gladiorum denique telis Armati nequeunt accedere comminus illi, Qui tam porrectum torquebat cuspidis ictum.
En effet, comme ils n'étaient plus armés que de leurs courtes épées, ils ne pouvaient s'approcher suffisamment de Walther, qui faisait tourner la pointe de sa lance en la tendant autant que possible à l'avant.
v1324-1326 Insilit et planta direptum hastile retentat Ac regem furto captum sic increpitavit, Ut iam perculso sub cuspide genva labarent.
[ici, Walther frappe Gunther, à mon avis d'un coup de son bouclier, qui s'était trop avancé pour récupéré sa lance tombé au sol devant Walther] Il bondit en avant, retint sous son pied la lance en train d'être enlevée et heurta si rudement le roi pris sur le fait que Gunther chacela sur ses genoux comme s'il était frappé d'un fer pointu.
v1389-1392 Verum vulnigeram clipeo insertaverat ulnam Incolomique manu mox eripuit semispatam, Qua dextrum cinxisse latus memoravimus illum, Ilico vindictam capiens ex hoste severam.
[Walther vient de se faire trancher la main droite] Au contraire, il engagea dans le bouclier son bras mutilé et de sa main intacte dégaina aussitôt la courte épée dont j'ai dit qu'il avait ceint sa hanche droite, pour tirer immédiatement de son ennemi une vengeance sévère.
v1425-1426 «iam dehinc cervos agitabis, amice, Quorum de corio wantis sine fine fruaris.»
"A partir de maintenant, mon ami, tu vas pourchasser les cerfs pour te fabriquer de leur peau des gants sans nombre."
v1429-1432 «Wah! sed quid dicis, quod ritum infringere gentis Ac dextro femori gladium agglomerare videris Uxorique tuae, si quando ea cura subintrat, Perverso amplexu circumdabis euge sinistram?»
"Ah ! mais que diras-tu quand on te verra violer la coutume de ton peuple et ceindre le glaive à la hanche droite, ou quand, si l'envie t'en prend, tu enlaceras ton épouse - quelle perversion, bravo ! - de la main gauche ?"
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